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First working session — The judgment
juges arrivés à la Cour en dernier lieu, au cours de l’année 1962, donc peu de
temps avant l’arrêt
Van Gend en Loos
, à savoir MM. Trabucchi et Lecourt.
La réponse à la question que j’ai soulevée doit être cherchée tout d’abord
dans la personnalité de ces deux protagonistes et dans leurs idées sur la nature
et le rôle du système communautaire. M. Lecourt, convaincu que le destin de
la Communauté était dans la création d’un véritable État fédéral, avait quitté
ses fonctions de ministre de la justice dans le gouvernement français en désap-
prouvant la ligne très réticente de ce gouvernement vis-à-vis de l’intégration
européenne. Il n’y a pas lieu de s’étonner que, dans ses nouvelles fonctions
au sein de la Communauté, il ait voulu contribuer à en renforcer le processus
d’intégration juridique, conformément à son idée de l’Europe.
Le cas deM. Trabucchi était différent. Étant donné sa fonction de professeur
de droit civil, on aurait pu s’attendre de sa part à une attitude peu ouverte vis-
à-vis de ce nouvel ordre juridique qui se situait essentiellement dans le cadre
du droit public et dont on continuait, surtout en Italie, à contester l’existence
en tant que réalité autonome par rapport aux ordres juridiques nationaux.
C’est la raison pour laquelle plusieurs membres de la Cour avaient exprimé
leurs réserves à l’égard de la nomination de ce juge. Preuve en est le véritable
sermon que le Président Donner adressa à M. Trabucchi lors de son entrée en
fonction à la Cour. S’adressant directement au nouveau juge, il affirma: «Tous
vos collègues ont fait l’expérience que le travail imposé par cette fonction n’est
pas celui auquel nous nous attendions et qu’il exige une adaptation profonde
et une révision des idées et des notions conventionnelles.» M. Donner pour-
suivit en soulignant la nécessité de renoncer à des conceptions traditionnelles
et, après avoir rappelé que M. Trabucchi était un spécialiste du droit civil, et
que ce droit était bien moins orienté vers l’évolution qui caractérise le système
communautaire, il lança son avertissement dans ces termes: «Le plus grand
danger d’erreur naîtrait si nous devions essayer de ramener ces problèmes à
des questions déjà connues ailleurs et si nous voulions les résoudre en suivant
des règles qui ont été découvertes et adoptées dans un autre domaine ou dans
un autre climat. On méconnaîtrait alors leur caractère propre et leur gravité.»
Je suppose que tous partagent aujourd’hui l’idée qu’une approche pure-
ment formelle ne peut pas suffire à donner une réponse satisfaisante, sur le
plan historique, à la question que j’ai évoquée. Les observations citées du
Président Donner, tout en se rapportant à la nature du système communau-
taire, me rappellent l’enseignement que, sous un autre aspect, je reçus sur les
bancs de l’université de Florence par mon professeur Piero Calamandrei, un
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