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Paolo Gori
Première séance de travail — L’arrêt
que, pour opérer les choix que la lettre et l’esprit de la loi lui permettent, un
bon juge, et surtout une cour constitutionnelle, doit pouvoir tenir compte des
bénéfices que sa décision pourrait apporter à la société.
Si l’on ne saurait accuser la Cour de partialité, d’autant plus qu’il s’agissait
d’une procédure incidente et non contentieuse, on pourrait en revanche voir
dans cette décision un manque de neutralité, et on aurait raison. La Cour a
effectué son choix dans le sens de la promotion de l’intégration juridique de
l’Europe et de la mise en valeur des droits individuels plutôt qu’en faveur de la
souveraineté des États membres. Elle n’y était pas obligée par la lettre du traité,
mais elle n’en était pas non plus empêchée. C’est là où ont justement joué les
valeurs dont ses juges se sont légitimement inspirés (
1
).
Pour terminer, je voudrais faire une remarque sur des critiques qui ont
été exprimées en doctrine sur deux points de la version italienne de l’arrêt
Van Gend en Loos,
lesquels ont, à mon avis, une portée dépassant largement
le plan linguistique et touchant des aspects substantiels. Il s’agit tout d’abord
de l’expression «diritti soggettivi» par laquelle on a traduit les mots «droits
individuels» de la version française qui, comme vous le savez, tout en n’étant
pas la version faisant foi, est celle qui en fait a été délibérée par la Cour. C’est
à tort que ces auteurs attribuent au service linguistique de la Cour ce qu’ils
considèrent comme une erreur de traduction. L’expression critiquée est le
fruit d’une réflexion qui a été faite au sein du cabinet du juge Trabucchi et
qui trouve son explication dans une caractéristique du système italien de la
protection juridique des particuliers: la distinction entre «droits subjectifs»
et «intérêts légitimes». Ces derniers entrent en jeu dans les relations entre les
particuliers et l’autorité publique et reçoivent une protection atténuée par rap-
port aux premiers. C’est justement pour éviter que les citoyens italiens fassent
l’objet, dans la sphère d’application du droit communautaire, d’une protection
juridictionnelle inférieure par rapport aux citoyens des autres États membres
qu’on a renoncé à une traduction littérale du texte original qui, dans le cadre
du système juridique italien, en aurait trahi le sens.
Quant à l’expression «valore precettivo», également critiquée, j’observe
que, aux yeux d’un juriste italien, considérée conjointement avec l’affirmation
(
1
) Il est intéressant de rappeler, comme l’a fait remarquer le professeur Paolo Mengozzi,
que tant le juge Lecourt que le juge Trabucchi se situaient, quant à leurs idées éthiques
et politiques, dans le courant démocrate-chrétien, exactement comme les principaux
initiateurs de l’intégration européenne: Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi et Robert
Schuman. S’agirait-il d’une simple coïncidence?
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