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Audience solennelle de la Cour de justice du 8 octobre 2018

Renouvellement partiel de la Cour de justice

à l’occasion de la cessation des fonctions et du départ de :

M. A. Tizzano, vice-président
M. J. L. da Cruz Vilaça, président de la Ve chambre
M. M. Wathelet, premier avocat général
M. A. Borg Barthet, juge
M. P. Mengozzi, avocat général
M. E. Jarašiūnas, juge

ainsi que de la prestation de serment de :

M. P. G. Xuereb, en qualité de juge
M. N. J. da Silva Cardoso Piçarra, en qualité de juge
Mme L. S. Rossi, en qualité de juge
M. G. Hogan, en qualité d’avocat général
M. G. Pitruzzella, en qualité d’avocat général
M. I. Jarukaitis, en qualité de juge


 

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Allocution de M. le Président Koen Lenaerts

 

fleche D Texte allocution M. Lenaerts

 

 

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Messages des membres cessant leur fonction


fleche D Brochure de l'audience solennelle pdf icon

 

fleche D L’audience solennelle a été retransmise le 8 octobre sur le site et peut être revue à partir du lien suivant :

http://c.connectedviews.com/01/SitePlayer/cdj?session=15515


 

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Message de M. TIZZANO 

Je n’ai pas décidé à cœur léger de quitter la Cour de justice.

Je sais très bien que le moment du départ est difficile. Mais il est un moment qui tôt ou tard arrive pour tous les membres de l’Institution, qui peut nous attrister, mais qui est inéluctable.

Et je sais bien également qu’il marque un changement important dans la vie d’une personne, surtout si cette personne a été longtemps à la Cour et a dédié toutes ses capacités et son énergie à l’Institution, en vivant presque en symbiose avec elle, tous les jours et à tout moment.

On comprendra donc que je ne pourrai pas me livrer à des discours de circonstance sans quelque mélancolie, voire même de l’amertume.
J’ai servi la Cour pendant 18 ans.

Un record que – à ma connaissance et jusqu’à présent – seuls Pierre Pescatore et Francis Jacobs ont égalé.

Mais ce chiffre n’indique que les années passées en tant que membre de la Cour. Il ne tient pas compte de toute la période pendant laquelle j’ai vécu avec l’Europe et le processus d’intégration européen.

De ce point de vue, je devrais dire – et sans exagérer – que cette période couvre ma vie entière !

En effet, je suis né avant même la création de la Communauté et j’ai fait sa connaissance quand j’étais encore étudiant au lycée.

C’était en 1957, l’année de la signature des traités de Rome ! Il y a 61 ans, l’une des preuves du bac était une composition au choix parmi trois sujets proposés. Le destin frappait à ma porte, mais je ne le savais certainement pas, quand j’ai choisi le sujet suivant : « Commentez la signature des traités de Rome et leur signification pour l’intégration européenne ». What else ?

Après trois ans, en 1960, étudiant à l’Université de Naples, j’ai rencontré directement la Cour. Mon Maître, le prof. Rolando Quadri, auquel j’adresse mon souvenir toujours reconnaissant, m’avait confié un sujet d’étude pour rédiger ma thèse de licence, un sujet encore une fois prophétique : « La juridiction de la Cour de justice des Communautés européennes ».

Un sujet à l’époque tout à fait original et nouveau, sur lequel personne n’était en mesure de m’orienter ou seulement de m’aider. J’ai dû faire presque tout le travail tout seul.

Mais le résultat de ce travail n’a pas dû être très mauvais si la thèse gagna le Prix européen qui alors était décerné à la meilleure thèse en Europe. C’était en 1963. La thèse est encore à la bibliothèque de la Cour…

À cette époque, la Cour en était à ses balbutiements. Elle avait quelques années comme Cour CECA et venait tout juste de naître en tant que Cour des CEE. N’étaient parus que quelques volumes du Recueil, qui de plus parvenaient avec des années de retard jusqu’à la périphérie de l’empire communautaire ; la doctrine était très réduite et ne se développait qu’à l’intérieur de quelques-uns des États membres d’alors ; les scientifiques du droit communautaire étaient très peu nombreux et largement isolés.

Bref, la Cour était à l’époque une belle inconnue, difficile à approcher et à étudier pour un jeune homme qui avait de peu dépassé ses 20 ans.
Malgré cela, je n’ai pas renoncé. J’ai commencé à enseigner le droit communautaire dans les universités, italiennes et étrangères, et à participer aux colloques en la matière.

Grâce à une période d’études à la Cour et au stage que j’y ai effectué ensuite en 1965, j’ai même pu partager, avec quelques-uns d’entre vous, le privilège d’avoir connu quelques juges qui avaient été en poste dès l’établissement de l’Institution. Ce qui – entre autres – permet de relier les différentes générations des juges et confère une continuité à la longue histoire de la Cour.

Tout cela se passait dans une période dans laquelle la vie n’était pas facile pour ceux qui s’appelleront ensuite les « communautaristes » par rapport aux « autres ».

Beaucoup parmi vous ne connaissent pas le climat des années 60 et 70 et penseront que j’exagère. Mais à ses débuts, l’étude du droit communautaire a été laissée, malgré l’importance évidente des nouveaux traités, presque exclusivement aux soins d’un petit groupe de spécialistes provenant essentiellement du droit international.

Pendant une période assez longue, ces « pionniers » ont travaillé pratiquement en état d’isolement, presque comme dans un club où la plupart des membres se connaissaient et se retrouvaient à l’occasion de l’un ou l’autre colloque, comme dans une sorte de circuit de Formule 1.
Ainsi, ils se sont dédiés longtemps à la tâche de faire connaître ce droit aux « autres » et de les sensibiliser sur son importance et son incidence directe et profonde sur les différents domaines du droit interne.

Contrairement aux premiers chrétiens dans les catacombes, ils ne risquaient pas leur vie, mais la mort académique était aux aguets, annoncée par l’indifférence, le scepticisme et parfois même l’hostilité manifestée par les scientifiques d’autres disciplines.

Moi-même, j’ai failli rater mon concours national de 1975 pour la chaire de droit international, car mes travaux étaient – expliquait le rapport final du jury – concentrés essentiellement sur le droit communautaire, alors même qu’à l’époque celui-ci faisait partie du droit international…

En tout cas, les conséquences négatives de cette approche sur la qualité de beaucoup d’études en la matière n’étaient pas difficiles à cerner.
Même quand les « autres » ont commencé à découvrir le droit communautaire, on pouvait observer dans une bonne partie de ces ouvrages l’absence d’une vision systématique de la matière.

On y voyait les carences méthodologiques provoquées par la tendance – compréhensible, mais tout à fait inappropriée – à subir le conditionnement de principes, catégories logiques et schémas conceptuels qui étaient propres au droit interne ou (pire encore) à la spécialité de l’auteur (ce dont témoignaient également les références bibliographiques toutes internes à la « famille académique » d’appartenance).

Il incombait donc à la doctrine du droit communautaire de poursuivre encore ses efforts, afin que ces tendances se modifient et que l’apport des « autres » se traduise en une contribution de plus en plus positive.

Ainsi, le long chemin de cette doctrine était bien loin d’être achevé.

Au contraire, son rôle prééminent d’orientation dans la matière restait essentiel, comme essentiel restait son devoir de ne pas renoncer à exercer ce rôle.

C’est ce qu’elle a fait pendant des décennies, et le développement du droit de l’Union lui a donné raison.

Ainsi, nous avons assisté assez rapidement à une évolution extraordinaire dudit droit ou, mieux, de son importance, si bien qu’aujourd’hui la situation s’est même renversée par rapport au point de départ.

Et on le voit justement du côté de la doctrine, mais également et surtout du côté de la Cour, dont le rôle est devenu bien plus important et décisif qu’à ses origines.

Ce qu’il faut défendre à présent est non plus l’existence de cette Institution, mais la centralité de son rôle dans le système juridique de l’Union.
En effet, la Cour est désormais au centre de ce système. Elle s’occupe de questions beaucoup plus importantes qu’auparavant, d’aspects inédits ou peu présents dans le passé.

Questions qui mettent en cause des aspects délicats et difficiles, mais tout à fait actuels, de notre société : migrants, questions économiques et monétaires, relations internationales, citoyenneté, rapports entre ordres juridiques, etc.

Et ce rôle de la Cour n’a jamais été sérieusement remis en question, ni par les États membres, ni par les autres institutions, qui souvent préfèrent s’en remettre à la Cour plutôt que de décider eux-mêmes.

Tout cela, toutefois, impose à la Cour une responsabilité encore plus importante, qui rend sa tâche difficile et délicate.

Mais il me semble qu’elle est tout à fait prête et apte à exercer ce rôle, même quand celui-ci peut être ingrat.

C’est d’ailleurs une conviction qui me vient de l’expérience des années que j’ai passées à Luxembourg.

J’ai servi la Cour, en tant que juge, sous deux présidences : celle de M. Skouris et celle de M. Lenaerts, deux présidences de style et caractère bien différents, mais toutes les deux très efficaces et surtout orientées nettement à préserver et renforcer le rôle de la Cour. M. Skouris a développé et consolidé ce rôle et a rendu la Cour familière aux juridictions nationales pour la placer au centre du système juridictionnel de l’Union. M. Lenaerts a su gérer avec intelligence cette importante hérédité et est en train de la développer, se concentrant sur le rayonnement de la Cour dans ses relations avec les États membres et en valorisant le caractère systémique des relations entre toutes les juridictions européennes.

Je suis sûr que cette opération sera menée à bon port ; et de cela vient ma conviction optimiste sur le rôle futur de la Cour !

En ce qui me concerne, je continuerai le chemin commencé il y a 60 ans et, même si je quitte la Cour aujourd’hui, je n’ai aucune intention d’en abandonner l’étude.

De cette manière, ma devise pourra être vraiment : « toute une vie avec la Cour » !

Je ne sais pas – comme personne ne le sait – ce que je serais devenu si je ne m’étais pas « marié » avec la Cour. Je sais toutefois que je n’ai jamais regretté le choix de quitter, outre l’enseignement, un cabinet d’avocat qui était à moi et qui marchait très bien, pour me transférer à Luxembourg.

En effet, la Cour a été tout pour moi. De quelque manière, elle a été… la compagne de ma vie, car aucune autre n’a pris autant de mon temps et de mon dévouement, pas bien entendu du point de vue de la qualité et de l’intensité des sentiments, mais certainement de celui de la durée et de la continuité de ces sentiments.

D’habitude, mes collègues remercient, à juste titre, leur partenaire pour avoir été à leurs côtés pendant leur mandat. Moi, je veux remercier la mienne pour avoir accepté le sacrifice de rester vivre à Rome et pour m’avoir permis de me concentrer sur mon travail.

La même chose doit être dite à l’égard de ma fille, qui a fait preuve d’une grande autonomie, me permettant de travailler sereinement.

J’ai de grands scrupules envers elles (comme envers mes frères et sœurs et mes amis les plus chers) pour tout ce que je n’ai pas pu leur donner. Je veux les remercier avec toute mon affection pour leur patience et leur compréhension.

En revanche, je ne suis pas sûr que mes collaborateurs à la Cour, référendaires, assistants et chauffeurs, soient à leur tour heureux du fait que j’ai eu autant de temps à consacrer au travail. Il est tout de même certain, néanmoins, que je leur suis et reste reconnaissant pour l’aide dont je n’ai jamais manqué avec dévouement, fidélité et compétence. Je les remercie de tout cœur pour la collaboration qu’ils m’ont fournie dans toutes ces années.

Être membre de la Cour a été pour moi un grand honneur et une expérience inoubliable. En effet, je l’ai connue très bien et sous différentes casquettes : stagiaire, chercheur, avocat, diplomate, avocat général, juge, président de chambre, vice-président. Même dans les moments plus difficiles, j’étais heureux d’y être. Et je l’étais grâce à la qualité et à l’importance des activités de la Cour, mais également grâce à son environnement de travail.

J’ai eu en effet le plaisir de collaborer avec des personnes extraordinaires, du président au plus jeune de mes collègues, personnes que je remercie une par une car elles ont été non seulement des collègues, mais très souvent de véritables amis.

J’étais heureux dans tous les moments que j’ai pu passer avec eux, s’agissait-il de réunions de travail ou de délibérés ou encore de rencontres privées. Avec aucun d’eux je n’ai eu de réels problèmes, avec tous j’ai eu des moments de bonheur, et je les remercie tous pour cela.tizzano001

Mais avec ceux qui sont encore en fonctions, je veux évoquer également ceux qui ont déjà quitté la Cour. On ne doit jamais oublier ceux qui ont dédié leur énergie et une bonne partie de leur vie à la Cour, contribuant à son succès et en la faisant devenir ce qu’elle est aujourd’hui.

Désormais, comme disaient les anciens, « faciant meliora sequentes », aux successeurs de faire mieux ! Ils doivent continuer avec le même esprit et la même force de volonté. C’est, en tout cas, ce que je leur souhaite sincèrement !

Merci encore une fois à vous tous et mes meilleurs vœux pour tout ce que vous désirez !

 


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Message de M. JOSÉ LUÌS DA CRUZ VILAÇA

En quittant aujourd’hui la Cour pour la troisième fois, je mets un point final à un parcours de près de 16 ans au service de l’Institution et de la justice européenne.

Sur plus de trois décennies, j’ai occupé des fonctions de juge au Tribunal comme à la Cour après avoir commencé comme avocat général, ce qui m’a permis d’accompagner les changements que l’Institution a connus, miroir de l’évolution de la construction européenne.

Tout a commencé pour moi en janvier 1986, au moment du troisième élargissement des Communautés. Celui-ci a ouvert les portes de l’Europe aux deux pays situés à l’extrémité occidentale du continent européen, jeunes démocraties sorties, quelques années auparavant, de longues périodes dominées par des régimes autoritaires, fermés et répressifs.

Mon expérience de presque trois ans comme avocat général a été extrêmement réjouissante. Elle avait, avant tout, le charme de la nouveauté et, en plus, correspondait parfaitement à mon passé d’universitaire, habitué à la recherche, la réflexion et la critique.

Déjà à l’époque, la charge de travail était considérable et progressait rapidement : le nombre d’affaires entrées par an dépassait les 400, pour 13 juges et 6 avocats généraux. Ces derniers étaient appelés à prononcer des conclusions dans toutes les affaires soumises à la Cour, mais il convient de reconnaitre que la complexité et l’ampleur de la tâche étaient assez inégales selon la nature des affaires.

La tradition voulait que chaque avocat général rédige et prononce ses conclusions dans sa langue maternelle ; en outre, les conclusions étaient normalement lues dans leur intégralité en audience publique. Une telle pratique était considérablement chronophage et je trouvais gênant que toute une formation de jugement soit contrainte d’assister à la lecture intégrale de conclusions, laquelle pouvait parfois prendre un temps considérable. J’ai donc décidé, à partir d’un certain moment et pour les conclusions plus longues, de ne lire que des morceaux choisis ou, le cas échéant, de préparer un résumé que j’enregistrais sur dictaphone et que mes secrétaires retranscrivaient rapidement (les ordinateurs étaient alors à leur jeunesse et le net n’était encore qu’un projet technologique d’avant-garde, presque une fiction scientifique, connu d’un nombre limité de spécialistes). Le Recueil de la Cour n’existait qu’en support papier et toute recherche de jurisprudence était laborieuse et incertaine.
C´est dire si les conditions de travail à la Cour ont fondamentalement changé depuis, poursuivant une évolution déjà en germe dans les années 1980.

L’installation et le démarrage du Tribunal de première instance en 1989, suite à son institution par le Conseil au cours de l’année précédente, ont constitué la deuxième étape de mon parcours. Avec l’ensemble de mes collègues, nous avons œuvré avec la détermination et le pragmatisme indispensables pour poser des fondations solides afin que le Tribunal puisse être en mesure d’accomplir les tâches qui lui étaient imparties. Conçu comme la pièce maîtresse du renouveau d’un système juridictionnel qui, 37 ans après sa création, se voyait ainsi doté d’un double degré de juridiction, ses missions premières consistaient à alléger la charge de travail de la Cour et, surtout, améliorer le niveau de protection des justiciables.

Les questions de concurrence constituaient le noyau dur des compétences du Tribunal. Celui-ci s’est employé à les traiter de façon approfondie et méticuleuse, ce qui a permis, en particulier, d’ouvrir la voie à l’intensification du contrôle juridictionnel des décisions de la Commission.

Il fallait que le Tribunal fasse ses preuves avant de se voir attribuer de nouvelles compétences. Il en a eu très rapidement l’occasion en traitant les trois grands ensembles d’affaires de cartel reçus de la Cour : le polypropylène, le PVC et le polyéthylène de basse densité.

En la personne du juge rapporteur désigné pour le premier de ces ensembles d’affaires, Koen Lenaerts, aujourd’hui président de la Cour, je salue, presque 30 ans après, le dernier des membres fondateurs du Tribunal à rester membre de l’Institution après mon départ ! Et, en sa personne, je remercie tous mes collègues de l’époque – certains, malheureusement, déjà disparus – pour la collaboration engagée, dévouée et amicale qu’ils m’ont donnée dans l’accomplissement des tâches requises par la mise en place de cette jeune juridiction.

En fermant ce chapitre, je tiens encore à souligner l’importance du rôle qu’a joué, dans la structuration et l’appui logistique et administratif au Tribunal, le dialogue avec la Cour et son président, d’abord Ole Due, pendant 5 ans, et, dans la dernière année de mon mandat, Gil Carlos Rodríguez Iglesias. Nous nous réunissions chaque lundi matin, accompagnés de nos greffiers – pour le Tribunal, Hans Jung, grand ami et grand esprit ; pour la Cour, d’abord, Jean Guy Giraud et, plus tard, Roger Grass – et cherchions ensemble des solutions pragmatiques pour faire face aux innombrables problèmes inhérents au fonctionnement efficace des deux juridictions qui se partageaient désormais des compétences, des installations, des ressources humaines et financières.

J’ai toujours clairement exposé à mes interlocuteurs ma propre vision du rôle du président du Tribunal au sein de l’Institution. Tout n’a pas été toujours facile, au contraire ! Mais, à chaque fois que les deux côtés cherchaient, sérieusement et de façon transparente, des solutions raisonnables aux difficultés, nous y parvenions sans drames ou déchirements, mais dans un esprit de compromis. Chacun pouvait donc se reconnaître dans le résultat obtenu, dès lors qu’il acceptait la logique de la négociation et de l’équilibre, dans le respect du principe de proportionnalité !

Chaque élargissement a constitué une opportunité et un défi pour le système juridictionnel de l’Union.

En janvier 1995, j’ai eu la chance d’accueillir au Tribunal les trois juges nommés suite à l’élargissement à l’Autriche, la Finlande et la Suède. Pour la première fois, la juridiction de l’Union accueillait, parmi ses membres, deux femmes juges !

Mais déjà, trois mois à peine après ma prise de fonctions en tant que président du Tribunal, j’avais pu m’associer, avec force et conviction, à la joie des peuples enfin libérés par la chute du mur de Berlin et la fin du régime soviétique, avec l’espoir qu’une paix durable, basée sur de nouveaux rapports entre les peuples européens, puisse s’établir, en démocratie et en liberté, sur l’ensemble du continent.

Les évènements de 1989/90 ont conduit, quelques années plus tard, au grand élargissement de 2004-2007-2013, qui a certainement constitué le défi le plus important que l’Union européenne a connu depuis sa création.

Sans surprise, la Cour que j’ai rencontrée en 2012 était très différente de celle que j’avais connue pour la première fois en 1986. Toutefois, j’ai pu constater, avec satisfaction, que ses fondements, sa culture et son âme n’avaient pas fondamentalement changé.

J’ai eu la chance d’exercer, pendant six ans, la mission de juge entouré de collègues de la plus haute envergure morale, intellectuelle et professionnelle. Je garderai de toutes et de tous un très vif souvenir.

J’ai eu aussi le privilège de travailler avec deux présidents – Vassilios Skouris et Koen Lenaerts – qui ont marqué, à leur façon, de par leurs qualités et leur personnalité respectives, la justice européenne au cours des 15 dernières années. En témoignent les remarquables acquis en ce qui concerne tant l’organisation interne de l’Institution et ses méthodes de travail que le système juridictionnel de l’Union dans son ensemble, comme l’illustre le Réseau judiciaire de l’Union européenne, le grand projet lancé par le président Lenaerts, réunissant la Cour de justice et les juridictions des États membres.

Au moment de partir, je fais le vœu que la Cour poursuive son action afin d’asseoir durablement la place qui est la sienne dans l’édifice judiciaire de l’Union européenne : celle de Cour suprême et constitutionnelle d’un ordre juridique caractérisé par un « constitutionnalisme à plusieurs niveaux », au sein duquel chaque niveau a droit au respect de son identité tant juridique que sociale et politique.

Il est constant que, selon l’article 4, paragraphe 2, TUE, « [l]’Union respecte l’égalité des États membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles, y compris en ce qui concerne l’autonomie locale et régionale », mais il ressort également du paragraphe 3 de ce même article que, « [e]n vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités. »

Dans la structure constitutionnelle de l’Union, ces principes ne peuvent opérer que dans la réciprocité, la loyauté de la coopération devant être nécessairement mutuelle. La Cour reste la gardienne ultime de ces principes et valeurs et je suis heureux de constater qu’elle n’a nullement fléchi dans leur affirmation et application.

Ce rôle de la Cour est d’autant plus important au moment où le projet européen est, une nouvelle fois, menacé de l’intérieur.

On peut, si l’on veut, combattre Daech et d’autres mouvements terroristes par des moyens appropriés. Il est possible de faire face à la crise migratoire et aux flux massifs de réfugiés avec les moyens financiers et logistiques dont on dispose. Il a été possible de contenir les effets dévastateurs de la crise financière et de l’euro et il est encore possible de doter de bases solides la monnaie unique, support indispensable à l’intégrité et au bon fonctionnement du marché intérieur ainsi qu’au rayonnement international de l’économie européenne. Tout ceci alors que, dans le même temps, l’Union fait face, avec détermination et dans l’unité, aux difficultés que posent les négociations liées au Brexit.

Mais on ne peut occulter ce sentiment qu’il devient de plus en plus délicat de fédérer l’Europe autour des valeurs communes qui la fondent et des objectifs essentiels auxquels les Européens ont souscrit.

En ce qui me concerne, c’est limpide : ces valeurs et ces objectifs sont gravés dans le marbre, aux articles 2 et 3 du traité UE.

Je ne vois pas comment quelqu’un pourrait souhaiter s’aventurer dans l’entreprise européenne sans partager foncièrement ses valeurs fondatrices ou sans accepter que l’action de l’Union ne soit déterminée autrement qu’en fonction des objectifs que celle-ci s’est attribués dans sa « charte constitutionnelle ».

Ainsi, je suis fier d’avoir appartenu à une Cour :

  • qui rappelle que figurent au cœur de la construction juridique de l’Union les droits fondamentaux;
  • qui considère que l’existence même d’un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect du droit est inhérente à un État de droit;
  • qui protège l’indépendance du pouvoir judiciaire des États membres, garantie première du droit à une protection juridictionnelle effective;
  • qui affirme que tenir compte de la réinsertion sociale d’un citoyen de l’Union dans l’État membre où il est véritablement intégré, indépendamment de son État membre d’origine, est dans l’intérêt non seulement de ce dernier, mais également de l’Union européenne en général;
  • qui ne tolère d’une organisation, dont l’éthique est fondée sur la religion, une différence de traitement, en termes d’exigences de loyauté envers cette éthique, que si, au regard de la nature des activités professionnelles exercées au sein de cette organisation, la religion constitue une exigence professionnelle essentielle, légitime et justifiée;
  • qui ne cesse de souligner que les droits reconnus aux ressortissants des États membres par le statut de citoyen européen incluent celui de mener une vie familiale normale dans l’État membre d’accueil, en y bénéficiant de la présence, à leurs côtés, des membres de leur famille, même si ces derniers sont ressortissants d’un État tiers;
  • qui, dans ce contexte, s’oppose à ce que les autorités d’un État membre dont le citoyen de l’Union a la nationalité refusent d’accorder un droit de séjour sur le territoire de cet État à son conjoint, ressortissant d’un État tiers de même sexe, au motif que le droit dudit État ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe;
  • qui énonce que le transfert d’un demandeur d’asile ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte;
  • qui a su trouver un juste équilibre entre les exigences liées à la préservation de la stabilité du système bancaire et financier ainsi qu’au maintien de la discipline budgétaire au sein de l’Union et d’autres principes et valeurs fondamentales, tels que le principe de transparence, la protection des droits de la défense et la préservation des droits patrimoniaux des particuliers.

Les quelques illustrations jurisprudentielles que je viens de mentionner permettent de bien comprendre que cette même Cour est à l’écoute de la société et attentive à l’évolution des mœurs. Mais elle sait également reconnaître l’importance des progrès techniques et des avancées de la science que ce soit dans le monde digital, de l’économie ou des sciences humaines, et est en mesure d’adapter sa jurisprudence à de nouvelles réalités, voire à réparer d’éventuelles maladresses sans peur de le reconnaître, l’infaillibilité n’étant pas de ce monde !

La sagesse de la Cour (qui existe bel et bien, n’en déplaise aux plus sceptiques...) n’est pas une caractéristique innée de l’Institution – elle est le fruit laborieusement construit et entretenu, tout au long des années, sous l’égide des deux règles (ou principes) qui ont, jusqu’à présent, constitué la clé de son succès et de son impact social : le secret du délibéré et la collégialité de la décision.

Certes, en ce qui concerne le premier, on peut avoir la tentation de se demander si, en réalité, la jurisprudence ne s’enrichirait pas de la publicité d’opinions divergentes des membres de la formation. Tel n’est pas mon avis, « dans l’état actuel du droit de l’Union et de la construction européenne », et je ne sais pas si nous y arriverons un jour !

En tout état de cause, dans un environnement social, juridique, politique et culturel au sein duquel coexistent des traditions diversifiées, parfois profondément ancrées, on ne peut définitivement se passer de la collégialité.

En effet, une collégialité vivante et vécue est le gage de la richesse, de l’autorité et de l’acceptabilité d’une jurisprudence qui doit s’appliquer dans l’ensemble de l’Union. Il m’a été particulièrement réjouissant de siéger en collège pendant ces six dernières années au cœur même de la décision juridictionnelle, avec un poids et une influence qui ne sont, au départ, ni plus ni moins que ceux des autres membres de la formation.

Suis-je entièrement satisfait de ce que nous avons réussi à construire en termes de structures et de règles de fonctionnement ? Certainement pas !

Il m’est difficile d’accepter que l’interprétation de directives ou de règlements d’application, à caractère essentiellement technique, monopolise les ressources d’une Cour constitutionnelle au même titre qu’une atteinte à la dignité humaine, une violation du principe d’égalité de traitement, la détermination des pouvoirs des institutions en matière de relations extérieures, une rupture des principes de l’État de droit (comme l’indépendance de la magistrature), une atteinte grave aux règles de la concurrence ou encore un refus de se plier aux exigences de solidarité et de coopération mutuelle, fondements de la construction européenne.

Cela m’est d’autant plus difficile que le nombre d’affaires introduites chaque année atteint désormais des sommets, si bien qu’il devient délicat de concilier la célérité dans le traitement des affaires avec les exigences de qualité, de cohérence et d’autorité de la jurisprudence, dont la préservation repose, certes, sur tous les membres – juges et avocats généraux – mais dont la mise en œuvre requiert, de surcroît, une synergie dynamique et éclairée entre le président, le vice-président et les présidents de chambre.

Ce n’est certainement pas le moment de m’épancher plus en avant sur ce thème. Je suis prêt à y revenir dans un cadre et à un moment plus approprié.

 

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wathelet2Message de M. MELCHIOR WATHELET

De toutes les institutions qu’il m’ait été donné d’approcher ou pour lesquelles j’ai travaillé, la Cour de justice est de loin ma préférée, partageant ce titre avec l’Université. Je suis heureux d’avoir exercé à la Cour pendant 14 ans au total, des fonctions qui sont au cœur de sa mission, celles successivement de juge, de président de chambre, d’avocat général et de premier avocat général, d’avoir ainsi collaboré à son rôle qui est essentiel dans la construction européenne, l’aventure la plus extraordinaire du XXe siècle, comme l’a dit Hillary Clinton (il a fallu une Américaine pour le dire !) et dont le défi est de le rester au XXIe siècle.

Les domaines de plus en plus nombreux dans lesquels les institutions européennes ont tout ou partie la charge : de la non-discrimination à la protection des droits fondamentaux, y compris au travers de la sécurité sociale, de la concurrence aux grandes libertés de circulation, des marchés publics à la protection du consommateur, du droit des réfugiés à la coopération judiciaire, de la lutte contre le terrorisme au mandat d’arrêt européen, de la politique commerciale extérieure de l’Union européenne aux relations de l’Union européenne avec les États membres, du droit d’accès de chacun à un juge à la protection du contribuable en passant par la lutte contre l’évasion fiscale.

La Cour de justice veille au respect du droit qui ne peut certes résoudre tous les problèmes, surtout en ces temps de profondes divergences politiques entre les peuples européens, mais qui constitue le dernier rempart contre les dérives autoritaires ou démagogiques qui ne manquent de se faire jour aujourd’hui, y compris sous la forme de menaces de certains États membres de ne plus respecter les décisions du juge européen.

Après la Seconde Guerre mondiale, la construction européenne a permis à l’Europe de vivre en paix pendant 75 ans, aux citoyens de circuler librement dans l’Union européenne sans perdre leurs droits et de disposer, malgré les crises et les insuffisances, d’une prospérité qui ne se compare à aucune autre dans le reste du monde. Lui reste le défi de protéger ses citoyens de demain dans un monde où une Europe divisée ne pourrait lutter contre les autres géants que sont les États-Unis, la Chine, l’Inde ou d’autres pays ou continents émergents. Nous en sommes loin ! Qu’il y ait entre les États membres des discussions sur base d’intérêts différents n’est que normal. Qu’il y ait entre eux un divorce sur les valeurs, c’est inquiétant !

Je ne cesserai de les promouvoir pour l’Union européenne, heureux d’avoir modestement contribué à cette aventure, d’abord comme étudiant à une époque où le droit européen était embryonnaire et où quelques enthousiastes choisissaient les rares cours de droit européen disponibles en dernière année, ensuite comme assistant du professeur Joliet qui m’avait donné le goût du droit européen, ensuite encore dans la vie politique belge au travers de la négociation du traité de Maastricht pour le gouvernement belge, de la présidence au nom de la Belgique du premier Conseil des ministres de l’Union européenne en matière de justice et d’affaires intérieures et des nombreux débats parlementaires visant à la transposition des directives européennes, le tout accompagné du grand plaisir d’enseigner le droit européen dans plusieurs universités, et enfin comme membre de la Cour de justice où j’ai eu le grand honneur de succéder à mon maître, le professeur Joliet.

C’est donc avec un véritable pincement au cœur que je me fais à l’idée de ne plus préparer mes conclusions (même le week-end !), de ne plus aller aux audiences, de ne plus défendre des idées à même de faire progresser la jurisprudence ; je regretterai les rencontres avec les collègues, tant juges qu’avocats généraux, sans oublier notre greffier, en associant chacun à un autre coin de l’Europe, les déjeuners des membres qui, chaque mois, mettaient à l’honneur la cuisine d’un des 28 États membres de l’Union européenne, les contacts et les débats avec les membres de mon cabinet et spécialement ceux que je quitte aujourd’hui : mes référendaires Eileen Sheehan, Milan Kristof, Paschalis Paschalidis et Jonathan Wildemeersch ainsi que mes assistantes et assistants, Rita Girsch, Corinne Laprade, Nancy Lebrun, Johan Vekeman, Lieve Willaert et Thierry Lousberg, le tout dans une institution qui, il faut le dire, est merveilleusement équipée et dispose d’excellents collaborateurs, du greffier à l’huissier audiencier, du personnel de sécurité au spécialiste de l’informatique, des correcteurs aux traducteurs, des interprètes au service du personnel, le tout dans un pays que j’apprécie, si proche du mien. Un rêve quand on a connu les difficultés des administrations ou juridictions nationales !

Je reviendrai à la Cour voir mes amis, je continuerai à enseigner sa jurisprudence et à la faire découvrir à mes étudiants, à d’autres étudiants et à leurs professeurs du secondaire ou de l’université, à mes amis et à tout groupe de citoyens intéressés par la vie d’une institution qui est aussi la leur. Et si le droit européen était une passion ?

Pour l’instant, et non sans émotion, je tourne, simplement, encore une page !

 


borgBarthe2tMessage de M. BORG BARTHET

Après presque quinze ans à la Cour de justice, le temps est venu pour moi de rentrer dans mon pays natal. Mais avant de partir, c’est un plaisir pour moi de remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont rendu mon séjour à Luxembourg agréable.

Avant toute chose, je souhaite remercier ma tendre épouse Carmen, pour son soutien et son amour qu’elle m’a toujours témoignés, non seulement ici à Luxembourg, mais également pendant ma carrière à Malte, durant mes études à l’université, et même avant, dès lors que nous nous connaissons depuis l’école primaire. Je la remercie pour les trois enfants que nous avons eus et pour la satisfaction qu’ils nous ont donnée grâce à leurs succès. Je les remercie tous les quatre, car c’est grâce à leur encouragement et leurs critiques, que j’ai pu donner le meilleur de moi-même…et croyez-moi, il y a beaucoup de choses qu’ils peuvent critiquer.

Ensuite, je voudrais remercier toutes les personnes grâce auxquelles j’ai pu travailler dans un milieu serein et agréable. Je commence par celles qu’on voit le moins et qu’on croise le moins, c’est-à-dire, les femmes de ménage,  les responsables de la maintenance, les gardes de la sécurité ainsi que les personnes qui travaillent derrière la scène. Je les remercie du fond du cœur pour leur contribution. Je n’oublie pas non plus les interprètes, les juristes linguistes, les huissiers, le greffier et les membres du Greffe ainsi que les personnes qui travaillent à la Recherche et documentation.

Quand je suis arrivé en 2004, je n’avais pas encore été confronté à l’application du droit européen dans mon pays. Pour éviter d’avoir des collaborateurs plus expérimentés que moi, j’ai choisi d’être entouré par des jeunes, qui à l’instar de moi-même, étaient prêts à apprendre et à travailler de sorte que mon cabinet puisse apporter sa contribution au travail de la Cour. Je peux dire que je les ai vus grandir dans leurs aptitudes et compétences jusqu’à devenir la colonne vertébrale de mon cabinet et à permettre à celui-ci d’avancer dans la bonne direction avec un niveau de productivité croissant. Je les remercie tous et je les recommande fortement à mes collègues qui un jour auront besoin d’un référendaire ou d’une assistante. 

Durant la durée de mon mandat, ils ont été comme une extension de ma famille. Je les ai vus tomber amoureux, se marier et avoir une famille. Aujourd’hui, en plus de mes deux petits-enfants maltais, je considère aussi comme mes petits-enfants, les enfants de mes collaborateurs qui sont nés pendant mes années à Luxembourg.

Je ne peux pas oublier de mentionner les juges et avocats généraux de la Cour avec lesquels j’ai travaillé. Ils m’ont appris énormément. Nous n’avons pas toujours été d’accord, mais nous nous sommes toujours arrêtés au point d’être d’accord de ne pas être d’accord… En particulier, je les remercie pour ces rares moments où notre désaccord était important et où j’ai continué à insister au-delà du niveau de tolérance et de patience d’une personne normale.

Last but not least, je remercie la ville de Luxembourg, l’État luxembourgeois et sa population cosmopolite. Le séjour de mon épouse ainsi que le mien fut agréable. Mes vieux amis luxembourgeois qui ont eu la bonté de nous accueillir comme des amis ont assuré que notre séjour ici ne soit pas un exil. Ça a été la découverte d’une nouvelle maison où nous avons été accueillis et les bienvenus comme si nous étions à Malte. La preuve en est que, bien que nous rentrons à Malte, ce sera avec plaisir que nous reviendrons à Luxembourg où nous étions si heureux.

Le futur ? – en dépit des soixante et onze années qui se sont écoulées depuis ma naissance, je sens que mon esprit est resté jeune et sans entraves. J'espère qu'à l'avenir, je pourrai partager mes expériences avec mes concitoyens maltais, tout en continuant à suivre l'évolution du droit européen, ici à Luxembourg, à Bruxelles et dans tous les autres États membres.

J'espère que les États membres continueront de choisir le projet européen de collaboration et d'unité. Je crois que ce projet continue d’avoir du succès, nonobstant les apparences et les critiques négatives. Mon expérience dans cette institution m'a fait penser que, bien que nous venions de différentes réalités historiques et géographiques, nous sommes capables de travailler ensemble dans un respect mutuel et indépendamment de la taille de nos États nationaux.

Il y a cinquante ans, j’ai participé à un concours pour obtenir une bourse d’études de l’Université maltaise. Dans ce cadre, j’ai dû écrire un mémoire intitulé « Malte, après l’année 2000 ». Celui-ci décrivait « Malte, en tant qu’un membre d’une Europe unie ». Cette Europe unie ressemblait beaucoup à l’Union européenne, à laquelle Malte a adhéré en mai 2004. J’ai pu prédire l’avenir ! Mais, à l’époque, je n’aurais jamais imaginé avoir la chance de travailler durant quinze ans comme membre d’une des institutions européennes les plus prestigieuses.

Je continue à prédire l’avenir en vous affirmant que mon cher ami Peter Xuereb me remplacera de façon plus que digne. Au-delà de la Cour, je vois une Europe en mesure de surmonter la crise actuelle, dans laquelle beaucoup d’États membres pensent pouvoir vaincre les obstacles d’aujourd’hui en privilégiant l’intérêt national et en oubliant leurs amis européens. Je suis persuadé qu’ils ne tarderont pas à réaliser que le succès individuel est mieux atteint lorsque chacun d’entre nous est le maillon de la même chaîne et que nous travaillons à l’unisson pour un futur commun dans le meilleur intérêt collectif.

J’espère que le prix de cette leçon ne coûtera rien à personne.

 


mengozzi2Message de M. PAOLO MENGOZZI

Cette aventure extraordinaire, qui a commencé il y a vingt ans et que j’ai vécue en tant que membre de cette institution, a marqué de façon considérable ma vie, et ce n’est certainement pas de gaieté de cœur que j’arrive à son terme.

Après une longue expérience de recherche et d’enseignement à laquelle je m’étais consacré de façon très individuelle, je suis arrivé à Luxembourg en 1998, en tant que juge au Tribunal (à l’époque Tribunal de première instance), dans un contexte très différent de celui auquel j’étais jusque-là habitué. Les débuts n’ont certainement pas été faciles. J’ai dû apprendre très rapidement à confronter mes idées avec celles de mes collègues et à faire face, à leurs côtés, à des questions juridiques épineuses, qui suscitaient souvent des débats très intenses et qui comportaient des prises de position rapides. Le fait que les juges du Tribunal discutaient l’orientation du juge rapporteur pour la solution à donner à une affaire déjà avant l’audience de plaidoiries, afin d’être tous à même d’adresser d’éventuelles questions aux parties au cours de celle-ci, constituait, aux yeux d’un professeur habitué à la « solitude intellectuelle » que la recherche et l’étude comportent, une grande nouveauté et, d’une certaine manière, également un défi. Et quel défi ! La vivacité du débat qui en résultait était, je m’en souviens encore, frappant, tout en me donnant l’impression de faire partie d’une équipe dans laquelle chaque membre avait la possibilité d’apprécier les qualités des autres et de tirer profit des expériences de tous, dans un contexte où la communication était très efficace.

Ayant rejoint la Cour en tant qu’avocat général en 2006, j’ai trouvé assez naturel de continuer à adopter la même attitude au cours des audiences. C’est donc en toute bonne foi que je posais de nombreuses questions aux parties, chose qui n’était pas de coutume à la Cour, sans me rendre compte que ce comportement suscitait une certaine perplexité parmi mes nouveaux collègues juges. Toutefois, ceci a été bientôt compris et accepté. Je dois aussi ajouter que, le fait que, avec le temps, nous sommes passés d’une situation où les conclusions étaient présentées quasi systématiquement dans chaque affaire à une situation où elles sont présentées uniquement dans des affaires soulevant de nouvelles questions de droit ou des problèmes sensibles, a nettement accru l’intensité des échanges et débats lors des audiences.

Mon expérience en tant qu’avocat général m’a donc, en raison de cette sorte de continuité entre le déroulement des audiences à la Cour et au Tribunal, un peu rappelé le temps passé au sein de ce dernier en tant que juge. Mais l’élément de continuité s’arrête là.

En effet, le rôle de l’avocat général est bien différent de celui que j’avais au Tribunal en tant que juge. Exception faite des audiences ainsi que de la réunion générale de la Cour, à laquelle tous les membres participent, les rapports professionnels avec les collègues juges sont presque inexistants.

Certes, cela est à très juste titre dû à une tradition de stricte indépendance réciproque et peut également être décelé dans le fait que les contacts entre les cabinets des juges et des avocats généraux, en ce qui concerne la discussion d’une affaire, ont lieu la plupart du temps par le biais des référendaires.

Je dois avouer que, tout au début de l’exercice de ma fonction d’avocat général, après l’heureuse expérience au Tribunal, j’ai trouvé cette pratique un peu pénible. En effet, il n’a pas été aisé de me réhabituer à la « solitude intellectuelle » qui avait caractérisé mes années passées en tant que professeur : la discussion au quotidien avec mes prestigieux collègues m’a donc beaucoup manqué. Cette « solitude intellectuelle » a toutefois été compensée par l’attention qui a été prêtée à mes conclusions par les juges de la Cour ainsi que, plus généralement, par les « usagers » de la justice européenne, mais surtout par la satisfaction d’avoir pu être secondé par des collaborateurs juristes d’une grande valeur qui, par leur loyauté et leur extrême professionnalisme, m’ont toujours garanti leur soutien et leur coopération dans l’élaboration des conclusions.

Last but not least, l’heureuse initiative, entreprise par le président Skouris, poursuivie et intensifiée par le président Lenaerts, d’organiser entre les membres de la Cour des forums de discussion sur des thèmes juridiques récurrents, au cours desquels tant les juges que les avocats généraux ont la possibilité d’exprimer et d’échanger leurs idées et impressions, a aussi contribué à réduire l’état d’« isolement » dans lequel se trouvent les avocats généraux. Je souhaite de tout mon cœur que cette initiative devienne une tradition bien ancrée, ainsi que toutes les autres initiatives visant à intensifier le dialogue et la discussion, non seulement entre les membres de la Cour, mais également entre les deux juridictions de l’institution et entre la Cour de justice et les juridictions nationales. Notre dénominateur commun, l’intégration européenne, doit à cet égard toujours être le moteur de chaque initiative.

Évoquer les nombreux arrêts dans lesquels j’ai eu le privilège d’être juge rapporteur au Tribunal et des conclusions encore plus nombreuses présentées durant mes deux mandats d’avocat général à la Cour serait assez ennuyeux.

Je me limiterai donc à mentionner, en ce qui concerne le Tribunal, trois arrêts dans trois domaines très différents. Tout d’abord, dans le domaine du commerce international, qui m’est cher, l’affaire FICF e.a./Commission (T-317/02), qui fut la première affaire dans laquelle le Tribunal a interprété le règlement de l’Union sur les obstacles au commerce érigés par des pays tiers. Ensuite, dans le domaine des marques, l’affaire Il Ponte Finanziaria/OHMI (T-194/03), portant sur l’appréciation du risque de confusion dans le contexte de la pratique de l’enregistrement de « famille » ou de « série » de marques, enregistrées à titre défensif, qui était jusque-là inconnue du régime de protection de la marque communautaire. Enfin, s’agissant du respect des règles de la concurrence, les affaires dites du « cartel des vitamines », BASF et Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission (T-15/02 et T-22 et 23/02), dont l’une des questions épineuses portait sur les conditions d’activation de la compétence de pleine juridiction du Tribunal lui permettant de réduire le montant d’une amende infligée à des entreprises ayant participé à une entente.

S’agissant des conclusions que j’ai présentées, les thèmes abordés ont été éminemment divers, tous très passionnants et, comme cela arrive régulièrement pour les conclusions des avocats généraux, certaines ont été plutôt médiatisées. En tout état de cause, le travail a toujours été très stimulant. Au fil du temps, je me suis rendu de plus en plus compte que, même lorsque, en apparence, un sujet semble être peu intéressant ou banal, il recèle néanmoins un ou plusieurs éléments qui éveillent l’intérêt du juriste.

Parmi mes conclusions, je me bornerai à en citer quatre, au titre, me semble-t-il, des plus significatives ou des plus marquantes et qui ont toutes pour dénominateur commun de mettre en évidence la place centrale qu’occupent les personnes physiques dans le droit de l’Union et, plus généralement, dans la construction européenne. Premièrement, je rappellerai les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Laval un Partneri (C-341/05) dans le domaine sensible du détachement des travailleurs et dans lesquelles j’ai défendu l’idée que le droit de l’Union permet aux États membres de lutter contre le dumping social. Deuxièmement, celles que j’ai rendues dans l’affaire X et X (C-638/16 PPU), affaire qui m’a marqué à plus d’un titre, et dans laquelle j’ai soutenu avec vigueur que le droit de l’Union autorisait la délivrance de visas humanitaires à des ressortissants syriens victimes d’actes de torture et de traitements inhumains ou dégradants. Troisièmement, mes conclusions présentées dans l’affaire Diakité (C-285/12) sur la notion de « conflit armé interne » en droit international humanitaire et en droit de l’Union dans le contexte de la protection subsidiaire qu’offre le droit de l’Union à des personnes dont la vie est gravement menacée dans leur pays d’origine. Enfin, celles rendues dans l’affaire des témoins de Jehova, Jehovan todistajat (C-25/17), dans laquelle j’ai conclu que l’activité de collecte de données personnelles par les membres de cette communauté religieuse auprès de personnes étrangères à celle-ci relève du champ d’application des règles du droit de l’Union en matière de protection des personnes physiques à l’égard du traitement de leurs données personnelles.

À de nombreuses occasions, la Cour a suivi l’orientation que je lui proposais. À d’autres occasions, la Cour n’a endossé que partiellement mes propositions, et à d’autres encore (mais, permettez-moi d’ajouter non sans une certaine fierté, assez rarement), elle a adopté une position complètement différente. Toutefois, même dans ce dernier cas, je n’ai jamais eu l’impression que mes idées étaient rejetées. Certes, un arrêt de la Cour qui se détache de l’orientation proposée par l’avocat général pourrait le laisser comprendre ; toutefois, j’estime que, quoi qu’il en soit, il est certain que toutes les conclusions contribuent à animer la discussion au cours du délibéré, ce qui, en soi, est déjà un élément dont, je pense, il faut être fier et qui, finalement, constitue la raison d’être de l’avocat général.

Je quitte la Cour en ayant conscience d’avoir passé, sans m’en rendre compte, vingt merveilleuses années de travail intense, un travail que j’ai accompli avec beaucoup de passion et de dévouement, en côtoyant des collègues de grande intelligence et avec l’aide de juristes tout aussi intelligents, dont le seul objectif est celui d’œuvrer constamment en vue de la réalisation de l’intégration européenne. J’espère que nos efforts n’auront pas été vains.

Au président Lenaerts et à tous les membres de l’institution aux côtés desquels j’ai eu l’immense privilège de travailler, un grand merci, en leur souhaitant de continuer à travailler harmonieusement pour la réalisation de cet objectif ; à mon successeur, je souhaite de pouvoir tirer de l’expérience qu’il s’apprête à vivre dans cette institution la même satisfaction que j’en ai moi-même obtenue. Merci cher Président et chers collègues, et bon travail cher Gianni !

Je voudrais également remercier le personnel de l’ensemble des services de la Cour pour le soutien constant que, directement ou indirectement, il assure aux membres de l’institution afin de faciliter au maximum leur tâche. Sans ces personnes, ma vie professionnelle et, souvent, ma vie personnelle auraient été terriblement compliquées. Merci à vous tous !

Enfin, à tous mes collaborateurs, précédents et actuels, mes sincères remerciements pour le travail accompli au quotidien, à mes côtés, avec intelligence, loyauté, générosité, humilité et patience, avec le souhait que leurs qualités soient appréciées par ceux qui auront la joie de pouvoir travailler avec eux, de la même façon et avec la même intensité que je l’ai fait. Je me considère comme un homme chanceux, privilégié et comblé. Merci ragazzi !

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La straordinaria avventura a Lussemburgo, da me iniziata 20 anni fa e vissuta in qualità di membro di quest’istituzione, ha segnato in modo significativo la mia vita e non è sicuramente a cuor leggero che vi pongo oggi termine.

Dopo una lunga esperienza di ricerca e insegnamento che mi aveva impegnato in modo molto individuale, sono arrivato a Lussemburgo per esercitare la funzione di giudice dell’allora Tribunale di Primo grado (oggi Tribunale tout court), in un contesto del tutto diverso da quello al quale ero abituato. Gli inizi non sono certo stati facili. Ho dovuto imparare velocemente a confrontarmi con i colleghi e ad affrontare assieme a loro problemi che spesso suscitavano intensi dibattiti e implicavano rapide prese di posizione. Il fatto che i giudici del Tribunale discutessero gli orientamenti del giudice relatore per la soluzione di un caso prima dell’udienza, per essere tutti preparati a porre eventuali domande alle parti nel corso di quest’ultima, costituiva per me, professore abituato a quella “solitudine intellettuale” che la ricerca e lo studio comportano, una grande novità e, in qualche modo, anche una sfida. E che sfida! La vivacità del dibattito che ne risultava mi aveva, ricordo, colpito, dandomi tuttavia l’impressione di essere entrato a far parte di una squadra in cui ciascun membro aveva la possibilità di apprezzare le qualità degli altri e di trarre beneficio dalle relative esperienze, in un contesto di efficace comunicazione.

Passato nel 2006 alla Corte di giustizia a svolgere la funzione di avvocato generale, era stato per me naturale continuare ad adottare lo stesso atteggiamento nel corso delle udienze della Corte. E’ dunque del tutto in buona fede che ponevo un certo numero di domande alle parti, cosa fino ad allora poco consueta, senza rendermi conto che questo comportamento suscitava un certo sconcerto tra i nuovi colleghi giudici. Tuttavia, tale mio comportamento è stato da loro presto capito e accettato. Devo peraltro aggiungere che il fatto che, nel tempo, si sia passati da una situazione in cui le conclusioni erano presentate quasi sistematicamente in ogni causa ad una in cui esse sono presentate solo in cause sollevanti problemi nuovi o spinosi, ha nettamente aumentato l’intensità del dibattito durante le udienze.

Per questa sorta di continuità tra lo svolgimento delle udienze alla Corte e al Tribunale, la mia esperienza di avvocato generale ha un po’ ricordato quella in precedenza svolta al Tribunale in qualità di giudice. Ma l’elemento di continuità si ferma qui.

In effetti, il ruolo di avvocato generale è ben diverso da quello che ero abituato a svolgere come giudice. Escludendo, infatti, le udienze e la riunione generale settimanale della Corte a cui tutti i membri partecipano, i rapporti professionali con i colleghi giudici sono quasi inesistenti. Certamente e giustamente questo è dovuto a una tradizione di ferrea indipendenza reciproca, tant’è vero che i contatti tra i gabinetti dei giudici e degli avvocati generali, per quanto concerne la trattazione di una causa, sono tenuti quasi sempre esclusivamente dai referendari.

All’inizio dell’esercizio della funzione di avvocato generale, dopo la felice esperienza al Tribunale, confesso che questo mi è un po’ pesato. Non è stato, infatti, facile riabituarmi alla “solitudine intellettuale” dei miei anni da professore: il confronto con i miei prestigiosi colleghi mi è assai mancato. E’ stato, però, compensato dall’attenzione prestata alle mie conclusioni dai giudici della Corte e dagli “utilizzatori” della giustizia dell’Unione, ma, soprattutto, dalla soddisfazione di aver potuto avvalermi di collaboratori giuristi di grande spessore che, con lealtà ed estrema professionalità, mi hanno sempre garantito il loro sostegno e la loro cooperazione in fase di preparazione delle conclusioni.

Last, but not least, l’opportuna iniziativa del Presidente Skouris, continuata e intensificata dall’attuale Presidente Lenaerts, di indire regolarmente dei momenti di discussione su diversi temi giuridici ricorrenti, in cui sia i giudici sia gli avvocati generali hanno la possibilità di esprimere e scambiare le proprie idee e impressioni, ha pure contribuito a ridurre l’“isolamento” degli avvocati generali. Mi auguro di tutto cuore che questa iniziativa diventi una tradizione ben radicata, così come lo diventino le altre varie iniziative volte a intensificare il dialogo e la discussione, non solo fra membri della Corte, ma anche fra le due giurisdizioni dell’istituzione e fra la Corte e le giurisdizioni nazionali. Il nostro denominatore comune, l’integrazione europea, deve essere il motore di ogni iniziativa.

Parlare delle numerose sentenze di cui sono stato giudice relatore al Tribunale e delle ancora più numerose conclusioni presentate durante la mia esperienza di avvocato generale alla Corte sarebbe certo noioso.

Mi limiterò a citare, per quanto riguarda il Tribunale, tre sentenze che toccano materie molto diverse tra di loro. Dapprima, in tema di commercio internazionale, tema che mi è caro, il caso FICF e a. c. Commissione (T-317/02), che è stato il primo caso in cui il Tribunale ha interpretato il regolamento dell’Unione sugli ostacoli al commercio posti dai paesi terzi. In seguito, nel campo dei marchi, il caso Il Ponte Finanziaria c. UAMI (T-194/03), concernente la valutazione del rischio di confusione nell’ambito della pratica di registrazione di “famiglia” o di “serie” di marchi, registrati a titolo difensivo, pratica fino ad allora sconosciuta dal regime di protezione del marchio comunitario. Infine, in materia di rispetto di regole della concorrenza, i casi conosciuti come “il cartello delle vitamine”, BASF e Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals c. Commissione (T-15/02 e T-22 e 23/02), in cui una fra le questioni spinose riguardava le condizioni di attivazione della competenza di piena giurisdizione del Tribunale per ridurre l’importo di un’ammenda inflitta a imprese facenti parti di un’intesa.  

Per quanto concerne le conclusioni da me presentate, i temi toccati sono stati svariati, ma tutti molto appassionanti. Come spesso può succedere per le conclusioni degli avvocati generali, alcune sono state piuttosto mediatizzate. E’ stato sempre, comunque, un lavoro molto stimolante, tant’è che, col passare del tempo, sempre di più mi rendo conto che, anche quando, in apparenza, il tema sembra poco interessante o scontato, emergono sempre uno o più elementi che suscitano l’interesse del giurista.

Fra le mie conclusioni, mi limiterò a citarne quattro che penso siano più significative e abbiano tutte per denominatore comune quello di mettere in evidenza il posto centrale occupato dalle persone fisiche nel diritto dell’Unione e, più in generale, nella costruzione europea. In primo luogo, voglio ricordare le conclusioni che ho presentato nel caso Laval un Partneri (C-341/05), concernenti il delicato tema del distaccamento dei lavoratori e nelle quali ho difeso l’idea che il diritto dell’Unione permette agli Stati membri di lottare contro il dumping sociale. In secondo luogo, quelle che ho reso nel caso X e X (C-638/16 PPU), caso che mi ha colpito sotto diversi aspetti, e in cui ho sostenuto con vigore che il diritto dell’Unione autorizza il rilascio di visti umanitari a cittadini siriani vittime di atti di tortura e di trattamenti inumani o degradanti. In terzo luogo, le mie conclusioni nel caso Diakité (C-285/12) sulla nozione di “conflitto armato interno” in diritto internazionale umanitario e in diritto dell’Unione nel contesto della protezione sussidiaria che offre il diritto dell’Unione a persone la cui vita è gravemente minacciata nel loro paese d’origine. Infine, le conclusioni che ho reso nel caso riguardante i testimoni di Geova (C-25/17 – Jehovan todistajat), in cui ho concluso che l’attività di raccolta dei dati personali da parte dei membri di tale comunità religiosa presso persone a questa estranee rientra nel campo di applicazione delle regole del diritto dell’Unione in materia di protezione delle persone fisiche per quanto concerne il trattamento dei loro dati personali.

 In tante occasioni la Corte ha seguito il mio orientamento, in altre solo parzialmente, in altre ancora (ma, mi permetto di aggiungere non senza un certo orgoglio, non in molte) ha adottato una posizione completamente diversa. Tuttavia, anche in quest’ultimo caso, non ho mai avuto la sensazione che le mie idee fossero, in qualche modo, respinte. Certo, una sentenza in senso opposto alle conclusioni lo può far pensare; ritengo, tuttavia, che tutte servono sicuramente ad animare la discussione in camera di consiglio il che, di per sé, penso costituisca non solo un elemento di cui esser fieri, ma anche, in fondo, la ragione d’essere dell’avvocato generale.

Lascio la Corte, consapevole di aver trascorso senza accorgermene venti meravigliosi anni di intenso lavoro, un lavoro che ho svolto con grande passione e dedizione, al fianco di colleghi di grande intelligenza e coadiuvato da giuristi altrettanto intelligenti, il cui unico obiettivo è stato quello di operare costantemente nell’ottica del raggiungimento dell’integrazione europea. Mi auguro che i nostri sforzi non siano stati vani. 

Al Presidente Lenaerts e a tutti i membri dell’istituzione al cui fianco ho avuto l’immenso onore di lavorare, un grazie sentito, unito all’augurio di continuare a lavorare in armonia sempre in quest’ottica e con risultati soddisfacenti; al mio successore quello di poter trarre, dall’esperienza che si accinge a vivere in quest’istituzione, la stessa soddisfazione che io ne ho tratto. Grazie, caro Presidente e cari colleghi; buon lavoro, caro Gianni!

Vorrei, inoltre, ringraziare tutto il personale operante presso i diversi servizi della Corte per il sostegno costante che forniscono ai membri dell’istituzione al fine di facilitare al massimo il loro compito. Senza di loro la mia vita professionale e, spesso, anche privata, sarebbe stata terribilmente complicata. Grazie a tutti voi!

E a tutti i miei collaboratori, precedenti e attuali, vadano i miei sentiti ringraziamenti per il lavoro svolto quotidianamente, fianco a fianco, con intelligenza, lealtà, generosità, umiltà e pazienza, con l’auspicio che queste loro doti siano apprezzate da chi avrà la gioia di poter lavorare con loro, nello stesso modo e con la stessa intensità con cui ho potuto farlo io. Mi ritengo un uomo fortunato, privilegiato e appagato. Grazie, ragazzi!

 


jarasiunas2Message de M. EGIDIJUS JARAŠIŪNAS

Je croyais qu’il ne serait pas difficile pour moi de quitter la Cour, ayant déjà eu plusieurs occasions, au cours de ma vie professionnelle, de sentir le goût du départ. Cependant, maintenant que le temps est venu de dire au revoir, je sens que je laisse ici une partie de ma vie : mes collègues et collaborateurs de la Cour, son atmosphère, les soucis du quotidien, la réalité qui m’entourait et qui ne fera plus partie de ma vie. Ce sentiment quelque peu nostalgique ne fait que confirmer que le temps passé à la Cour marque, pour moi, une étape importante et que j’ai appréciée, à différents points de vue. Cela étant, sans oublier le passé, je donne la priorité à l’avenir, qui me paraît toujours être le plus intéressant et qui promet de nouvelles occupations, découvertes et rencontres. Telle est la logique de la vie humaine.

Les fonctions que j’ai exercées à la Cour de justice de l’Union européenne ont constitué pour moi l’expérience juridique la plus enrichissante, celle d’une interaction constante entre ma perception individuelle et celle des autres, à la recherche des solutions juridiquement les plus correctes. Les juges sont tout d’abord des êtres humains, avec tous leurs talents et leurs qualités personnelles ainsi que, ce qui est inévitable, leurs faiblesses, mais qui savent toujours très bien utiliser les instruments juridiques afin de trouver, ensemble, les meilleures solutions dans les affaires complexes. C’est l’avantage du travail en commun, l’avantage de la vraie collégialité. Le résultat des discussions entre juges se traduit dans notre jurisprudence, qui est le fruit des connaissances, de l’expérience et de l’analyse effectuée à partir de points de vue juridiques différents. J’ai pu constater que ce qui est dit sur la sagesse de notre Cour est vrai. À cet égard, la métaphore du juge Hercule, juge idéal de Ronald Dworkin, me paraît juste pour décrire le travail des juges à la Cour : ils traitent au quotidien de cas difficiles, auxquels ils apportent, en interprétant et en appliquant le droit de l’Union, la solution la plus convenable, et, malgré la critique dont cette solution peut parfois faire l’objet, il apparaît finalement que la Cour avait raison dans une perspective plus large.

Derrière la jurisprudence de la Cour se trouvent toujours des individualités, formées dans différents pays de l’Union européenne. Et le travail commun, les efforts de tous à la Cour m’ont appris très vite que l’identité juridique européenne n’est pas une conception artificielle, mais est constituée par l’ensemble des valeurs et des traditions qui nous sont propres, que nous mettons quotidiennement en œuvre dans notre travail.

Je suis très reconnaissant à mes chers collègues, Mesdames et Messieurs les juges et les avocats généraux, qui m’ont beaucoup appris dès mes premiers jours à la Cour, notamment sur le choix ainsi que sur la mise en œuvre de l’argumentation juridique. Les personnes que j’ai rencontrées ici sont devenues pour toujours des exemples de ce qu’est un vrai juge. Pendant la période au cours de laquelle j’ai exercé mes fonctions à la Cour, Messieurs Vassilios Skouris et Koen Lenaerts, des personnalités exceptionnelles, ont successivement été président de cette juridiction. J’ai beaucoup apprécié leurs connaissances juridiques, leur capacité à mener des discussions productives et à percevoir les perspectives d’avenir de la Cour, de même que leurs qualités humaines. Je suis sûr que la Cour est et restera guidée par des mains fiables.

La Cour statuant dans des compositions différentes, j’ai eu l’honneur de collaborer avec chacun des juges et des avocats généraux. Naturellement, les relations les plus proches se sont développées avec mes collègues des chambres à cinq juges, présidées avec excellence, respectivement, par Messieurs Jean-Claude Bonichot et Marko Ilešič. Notre travail, dans les formations à trois juges et à cinq juges, dans la grande chambre, ainsi que dans l’assemblée plénière a été accompli dans une atmosphère conviviale et a été marqué par des discussions enrichissantes ainsi que par un effort commun visant à atteindre le meilleur résultat. Tout au long de ce chemin, je n’ai rencontré que des gens remarquables. Je garderai donc toujours les souvenirs les plus chaleureux de notre travail commun dans les diverses chambres de la Cour, lors des forums des membres, les conférences et autres événements organisés par la Cour, ainsi qu’au Comité chargé des réclamations.

Le cercle des personnes les plus proches pour moi a été le cabinet « lituanien ». Je tiens à exprimer ma plus sincère gratitude aux membres de celui-ci : les référendaires Denis dʼErsu, Gaëlle Bontinck, Deimilė Prapiestytė, les assistantes An Piette et Carine Garbo, l’administrateur-juriste Dalia Misiūnaitė-Kamarauskienė ainsi que les chauffeurs Augusto Trindade et Diogo Gonçalves Fonseca. Je ne peux réserver à chacun d’entre eux et à l’ensemble de mon cabinet que les mots les plus chaleureux. Ils se distinguent tous par leurs qualités humaines et professionnelles exceptionnelles, leur professionnalisme et leur fiabilité. Sans eux, je n’aurais pas pu me sentir aussi à l’aise ici à la Cour. Je suis infiniment reconnaissant envers les membres de l’« équipe lituanienne » pour leur unité, leur compétence, leur énergie inépuisable dans la recherche de solutions aux problèmes juridiques et quotidiens. C’est maintenant, en partant, que je peux apprécier à quel point me sont proches ces personnes avec lesquelles, comme le dit un proverbe lituanien, « nous avons mangé plusieurs livres de sel », nous avons fait beaucoup de travail ensemble.

Je tiens à remercier également tous les services de la Cour au sein desquels travaillent des professionnels d’excellence, qui font tout pour assurer un fonctionnement irréprochable de cette institution, en particulier le greffe, les juristes-linguistes et les interprètes, dont les prestations sont de la plus haute qualité. Je peux répéter que je n’ai croisé, au sein de la Cour, que des gens vraiment admirables.

Je serais ingrat si j’oubliais de mentionner le Luxembourg et son peuple. C’est un pays et une capitale qui conviennent idéalement pour le travail de la Cour européenne. Luxembourg a été pour moi plus qu’un lieu de résidence. Je conserverai toujours les souvenirs de son caractère unique, de son esprit européen. Le Luxembourg est une expression de l’unité européenne et un exemple de fonctionnalité rationnelle et productive.

Mon expérience en tant que juge à la Cour de justice de l’Union européenne s’ajoute à celle d’avocat, de politicien, de professeur de droit et de juge constitutionnel. Je suis reconnaissant à mon destin de l’opportunité qu’il m’a donnée de faire partie de cette honorable institution et de mettre la main à ce qui est appelé le développement du droit jurisprudentiel de l’Union. Cette expérience m’a offert une autre manière d’appréhender le phénomène qu’est le droit et m’a surtout permis de participer à ce développement du droit jurisprudentiel européen, qui doit être perçu comme un ensemble unique de décisions juridictionnelles, dans lequel une décision complète une autre, une interprétation initiale est suivie par une deuxième, une troisième, etc. C’est ainsi que, un dossier après l’autre, le système juridique de l’Union s’est développé. La plupart des auteurs observant la pratique actuelle de la Cour soulignent le caractère dynamique et créatif de sa jurisprudence et sa capacité à s’adapter à la situation de l’intégration actuelle. L’évolution de l’Union est toujours influencée par les arrêts de la Cour.

La Cour représente l’archétype des standards juridiques qui devraient être maintenus par les États membres dans le domaine judiciaire. Le caractère objectif des arrêts, l’impartialité, les garanties d’indépendance des juges constituent des éléments qui permettent de protéger l’État de droit et les droits de l’Homme.

Le droit de l’Union est un droit pluridimensionnel. Afin d’interpréter ces dimensions différentes, la Cour doit non seulement se prononcer sur la substance des dispositions de celui-ci, mais doit aussi analyser leurs interconnexions complexes, remédier aux lacunes juridiques, clarifier certains aspects, et dire ce qui n’a pas été expressément énoncé dans le libellé. Du fait de l’évolution constante du droit de l’Union et de son extension vers de nouveaux domaines, la Cour est constamment confrontée à de nouvelles problématiques.

Il convient de souligner le caractère multifonctionnel de la Cour : elle exerce les fonctions d’un tribunal international, d’une cour constitutionnelle, d’une cour suprême et encore celles d’une cour spécialisée. Cela constitue l’une des particularités de cette juridiction, dont la mission est définie comme visant à veiller à ce que, en interprétant et en appliquant les Traités, le droit soit respecté. Le droit n’est pas forcément important en tant que tel, mais il l’est au vu de son effet sur les relations entre les Hommes dans toute l’Europe. Les Traités visent à établir l’équilibre entre le droit de l’Union et les systèmes juridiques nationaux. L’interaction entre ceux-ci devrait être perçue comme étant dynamique, de sorte qu’il est nécessaire de tenir compte de cet équilibre en interprétant et en appliquant le droit de l’Union. Le développement d’un algorithme applicable aux relations rationnelles avec les systèmes juridiques nationaux constitue l’une des conditions d’une application réussie du droit de l’Union au sein des États membres. La plupart des juridictions nationales examinent non seulement le droit national, mais également le droit de l’Union. Les liens entre ces systèmes commencent à prendre les traits d’une relation stable. Le fonctionnement de la Cour et des juridictions nationales doit être appréhendé dans le contexte d’un réseau de contacts inter-juridictionnels, dont l’aspect principal est la collaboration entre ces juridictions. La condition principale d’un dialogue réussi, c’est d’entendre ce qui est dit. Et l’affirmation, faite dans la jurisprudence constitutionnelle lituanienne, selon laquelle l’adhésion de la Lituanie à l’Union européenne est une valeur constitutionnelle, confirme qu’en Lituanie l’importance de l’intégration européenne est pleinement comprise.

L’extension continue de la dimension européenne, son influence croissante non seulement sur le quotidien des institutions publiques, mais également sur celui des personnes physiques et morales, marque l’évolution de l’intégration européenne. La jurisprudence de la Cour, dont l’influence est ressentie dans les systèmes juridiques de tous les États membres, participe à l’établissement de standards juridiques communs. En effet, l’exercice du pouvoir judiciaire est de plus en plus affecté par la pratique des juridictions supranationales, transnationales ou internationales, ainsi que par celle des autres États membres.

J’estime qu’il faut garder à l’esprit, dans le cadre du renvoi préjudiciel, l’utilité des réponses données à la juridiction nationale qui nous a interrogés. Les jugements de la Cour sont destinés non pas aux commentateurs ou aux représentants de la doctrine, mais plutôt aux juges saisis d’une affaire concrète se trouvant confrontés à un problème spécifique d’interprétation du droit de l’Union. Dès lors, la priorité devrait toujours être donnée à la clarté, en répondant à toutes les questions posées et en omettant les développements qui ne sont pas nécessaires à cet égard. C’est ainsi qu’un arrêt de la Cour exerce l’influence la plus grande, sans laisser place à des interprétations divergentes.

À l’occasion de la fin de mon mandat, je souhaiterais citer les mots de Michel de Montaigne, qu’il a dits en quittant ses fonctions : « Je ne me suis en cette entremise non plus satisfait à moi-même, mais à peu près j’en suis arrivé à ce que je m’en étais promis, et ai de beaucoup surmonté ce que j’en avais promis à ceux à qui j’avais à faire : car je promets volontiers un peu moins de ce que je puis et de ce que j’espère tenir. Je m’assure n’y avoir laissé ni offense, ni haine » (Essais de Michel de Montaigne, livre troisième, chapitre X). J’ai fait tout ce que j’ai pu, en me conformant à cette maxime, mais il ne m’appartient pas d’en apprécier les résultats.

À la Cour, j’ai représenté l’école du droit lituanien et, en même temps, j’ai fait le lien entre les différentes générations de juristes lituaniens qui y ont exercé et y exerceront. D’une part, j’ai remplacé M. le juge Pranas Kūris, l’une des personnalités les plus distinguées dans le milieu juridique lituanien, mon professeur à l’université, envers lequel je suis très reconnaissant. D’autre part, M. Irmantas Jarukaitis, un représentant d’une plus jeune génération de juristes, prend ma place et je lui souhaite le plus grand succès dans ses fonctions à la Cour.

Ce qui reste aprèsbrochure004 le départ des membres de la Cour, ce sont leurs portraits dans le couloir près des salons. Ce sont des traces physiques de leur travail dans cette juridiction. Il existe également des traces qui ne sont pas matérielles : la jurisprudence de la Cour. La jurisprudence nouvelle est toujours fondée sur ce que la Cour avait créé auparavant et ce qu’elle crée actuellement. C’est une liaison permanente entre la voie jurisprudentielle actuelle, celle du passé et celle du futur. Je suis donc heureux d’avoir pu contribuer modestement à cette création et fier d’avoir pu travailler ici à la Cour avec de sages personnalités, grâce aux efforts intellectuels desquels ce droit jurisprudentiel a été créé et continu d’être développé.

Pour finir, je voudrais souhaiter à tous les membres et collaborateurs ainsi qu’à toutes les personnes de l’institution bonne chance dans l’accomplissement de leurs fonctions au service de la Cour et de l’Union.

Bonne chance à tous !