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Jean-Victor Louis
CONCLUSIONS générales
lieu de la «justiciabilité» de la disposition s’inscrit dans le contexte de l’opi-
nion majoritaire qui associait l’application par le juge d’une disposition de
droit international à la possibilité pour ladite disposition d’abord d’être
«self-
executing»
, ou directement applicable, et, ensuite, de n’avoir cette caractéris-
tique qu’en vertu de la volonté des parties. Si ces traits étaient réunis, le juge
pouvait alors, à l’image des termes de la Constitution néerlandaise récemment
révisée, reconnaître la primauté de la règle internationale. En l’absence de
disposition relative à la primauté dans la Constitution, la loi nationale posté-
rieure prévalait très généralement (
14
). Il fallait donc rendre autonome le jeune
droit communautaire, non seulement par rapport au droit national mais aussi
à l’égard du droit international: l’effet direct, comme la primauté, trouverait sa
source dans les traités et non pas dans les constitutions nationales. Les traits
spécifiques originaux incontestables du droit communautaire rendaient plus
facile ce progrès vers l’affirmation du rôle de l’individu vigilant à la défense de
ses droits (
15
).
On connaît l’évolution qui a vu la Cour, au fil des années, développer à
partir de l’arrêt
Van Gend en Loos
la possibilité pour les particuliers d’invo-
quer largement le droit communautaire, aussi bien le traité que les actes de
droit dérivé, ébranlant la summa divisio
chère au professeur Léontin-Jean
Constantinesco (
16
), comme l’a rappelé le professeur De Witte, entre dispo-
Toutefois, le professeur Waelbroeck remarquait aussi que de nombreuses juridictions
internes reconnaissaient le caractère
self-executing
à des obligations négatives.
La distinction entre droits subjectifs et intérêts légitimes était en toile de fond de l’arrêt
de la Cour du 19 décembre 1968,
Salgoil
, aff. 13/68, Rec. p. 661, cité par Kovar, R., «La
qualification des actions visant à obtenir réparation des préjudices résultant de mesures
fiscales nationales contraires au droit communautaire», dans Chemins d’Europe,
Mélanges
J.P. Jacqué
, Dalloz, Paris, 2010, p. 363-380, spécialement p. 365-369.
(
14
) Il est bien connu que, même lorsque la primauté du traité était reconnue par la Constitution,
comme dans le cas de l’article 55 de la Constitution française attribuant une «autorité
supérieure» au traité sur la loi, le juge ne s’estimait pas nécessairement habilité à écarter
celle-ci, en cas de contradiction avec le traité. Sur le long chemin parcouru par le juge
français pour admettre la primauté du droit communautaire sur la loi, voir Rideau, J.,
«L’application par le juge»,
Droit institutionnel de l’Union européenne
, 6
e
édition, LGDJ,
Paris, 2010, p. 1255 et suiv.
(
15
) Comme l’indique Pierre Pescatore, cité par le professeur Pernice dans son intervention,
l’accent mis sur la nature nouvelle et indépendante du droit communautaire était nécessaire
pour établir la doctrine de l’effet direct contre le refus des États membres d’appliquer
loyalement leurs obligations; voir «
Van Gend en Loos,
3 February 1963 — A View from
Within», dans
The Past and Future of EU Law
, Poiares Maduro, M., Azoulai, L. (ed), Hart
Publishing, Oxford and Portland Oregon, 2010, p. 3-8, p. 4-5.
(
16
) Voir Constantinesco, L.-J.,
L’applicabilité directe dans le droit de la C.E.E.
, Grands écrits,
Bruylant, 2006 (réimpressiond’unouvrage paru à la LGDJ, Paris, 1970, chapitre 1
er
, La
Summa