A | La Cour de justice en 2022
La Cour de justice peut principalement être saisie de :
-
demandes de décision préjudicielle
Lorsqu’un juge national a des doutes sur l’interprétation d’une norme de l’Union ou sur sa validité, il suspend la procédure qui se tient devant lui et saisit la Cour de justice. Une fois éclairé par la décision rendue par la Cour de justice, le juge national peut alors résoudre le litige qui lui est soumis. Dans les affaires appelant une réponse dans un délai très bref (par exemple en matière d’asile, de contrôle aux frontières, d’enlèvements d’enfants, etc.), une procédure préjudicielle d’urgence (« PPU ») est prévue ; -
recours directs, qui visent à :
- obtenir l’annulation d’un acte de l’Union (« recours en annulation ») ou
- faire constater qu’un État membre ne respecte pas le droit de l’Union (« recours en manquement »). Si l’État membre ne se conforme pas à l’arrêt ayant constaté son manquement, un second recours, appelé recours en « double manquement », peut conduire la Cour de justice à lui infliger une sanction pécuniaire ;
- pourvois, dirigés contre les décisions rendues par le Tribunal, à l’issue desquels la Cour de justice peut annuler la décision du Tribunal ;
- demandes d’avis sur la compatibilité avec les traités d’un accord que l’Union envisage de conclure avec un État tiers ou une organisation internationale (introduites par un État membre ou par une institution européenne).
L’activité et l’évolution de la Cour de justice
La composition de la Cour de justice n’a pas connu de changement en 2022, tout comme les textes qui régissent ses activités, le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure.
Après deux années impactées par la crise sanitaire, l’année 2022 a été celle de la réintégration généralisée du personnel dans les locaux de l’institution et d’un retour à des conditions normales de fonctionnement, notamment en ce qui concerne la tenue des audiences. Les développements technologiques dictés par les mesures sanitaires des deux années précédentes ont toutefois été mis à profit pour concrétiser certains projets importants visant à rapprocher la justice européenne du citoyen.
La Cour de justice offre ainsi, depuis le 26 avril 2022, un système de streaming des audiences qui, à l’image du projet de visites à distance lancé en 2021, entend renforcer sa dimension de « Cour citoyenne », plus accessible au grand public. Les retransmissions sont conçues afin de permettre à toute personne qui le souhaite de suivre les audiences dans les mêmes conditions que si elle était physiquement présente à Luxembourg, dans la salle d’audience, grâce à une interprétation simultanée des débats dans les langues nécessaires au bon déroulement de l’audience.
Sur le plan statistique, l’année 2022 aura une nouvelle fois été marquée par une activité soutenue. 806 affaires ont ainsi été portées devant la Cour de justice. Comme les années précédentes, il s’agit, pour l’essentiel, de demandes de décision préjudicielle et de pourvois qui, avec respectivement 546 et 209 affaires, représentent à eux seuls plus de 93 % de l’ensemble des affaires introduites en 2022. Celles-ci abordent des domaines aussi variés et sensibles que la préservation des valeurs fondamentales de l’Union européenne, la protection des données à caractère personnel et la protection des consommateurs ou de l’environnement, sans oublier la fiscalité, la concurrence et les aides d’État. L’on notera par ailleurs plusieurs affaires liées à la crise sanitaire ou à la guerre en Ukraine.
808 affaires ont été clôturées par les différentes formations de jugement de la Cour de justice. Un nombre élevé (78) a été jugé par la grande chambre et deux d’entre elles, portant sur le lien entre le respect de l’État de droit et l’exécution du budget de l’Union, ont été tranchées par l’assemblée plénière (affaires C‑156/21, Hongrie/Parlement et Conseil, et C‑157/21, Pologne/Parlement et Conseil).
En raison d’un recours fréquent aux ordonnances, singulièrement en matière de pourvois, la durée globale des procédures (16,4 mois) est restée similaire à celle de l’année précédente (16,6 mois), mais, signe de la complexité accrue des questions soumises à la Cour de justice, on relèvera un allongement de la durée moyenne de traitement des préjudicielles (17,3 mois, contre 16,7 mois en 2021).
Au 31 décembre 2022, le nombre d’affaires pendantes devant la Cour de justice s’élevait à 1 111 affaires soit, à deux unités près, le même nombre qu’au 31 décembre 2021 (1 113 affaires).
Eu égard à ces statistiques, et compte tenu du fait que, depuis juillet 2022, le Tribunal est doté de 54 juges (deux par État membre) par l’effet de l’achèvement de la réforme de l’architecture juridictionnelle de l’Union décidée en 2015, la Cour de justice a adressé au législateur de l’Union une demande de modification du statut portant sur deux points. Sa finalité est de permettre à la Cour de justice de préserver sa capacité de rendre des décisions de qualité dans un délai raisonnable, mais aussi de se concentrer davantage sur ses missions centrales de juridiction constitutionnelle et suprême de l’Union.
En premier lieu, la demande de modification consiste à transférer au Tribunal la compétence préjudicielle dans cinq matières clairement circonscrites, qui soulèvent rarement des questions de principe, bénéficient d’un socle solide de jurisprudence de la Cour de justice et qui représentent, en outre, un nombre d’affaires suffisamment important pour que le transfert envisagé produise un réel effet sur sa charge de travail : le système commun de la TVA, les droits d’accise, le code des douanes et le classement tarifaire de marchandises dans la nomenclature combinée, l’indemnisation et l’assistance des passagers, ainsi que le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.
La compétence préjudicielle du Tribunal dans une affaire serait sans préjudice de la faculté, pour ce dernier, de renvoyer celle-ci devant la Cour de justice s’il estime qu’elle appelle une décision de principe susceptible d’affecter l’unité ou la cohérence du droit de l’Union. La Cour de justice disposerait également de la possibilité de procéder, à titre exceptionnel, au réexamen de la décision rendue par le Tribunal en cas de risque sérieux d’atteinte à cette unité ou à cette cohérence.
En deuxième lieu, dans un contexte marqué par un nombre élevé de pourvois contre les décisions du Tribunal, afin de maintenir l’efficacité de cette procédure et de permettre à la Cour de justice de se concentrer sur les pourvois qui soulèvent des questions de droit importantes, la demande législative préconise une extension du mécanisme d’admission préalable des pourvois entré en vigueur le 1er mai 2019 (article 58 bis du statut).
Cette extension concernerait les pourvois formés contre les décisions du Tribunal portant sur des décisions des chambres de recours indépendantes de certains organes de l’Union qui n’avaient initialement pas été mentionnés à l’article 58 bis du statut lors de son entrée en vigueur le 1er mai 2019 (par exemple, l’Agence de l’Union européenne pour les chemins de fer et celle pour la coopération des régulateurs de l’énergie, l’Autorité bancaire européenne, ou encore l’Autorité des marchés financiers et celle des assurances et des pensions professionnelles).
Koen Lenaerts
Président de la Cour de justice de l’Union européenne


806 affaires introduites
546 procédures préjudicielles dont procédures préjudicielles d’urgence (PPU)
Principaux États membres d’origine des demandes :
Allemagne 98
Italie 63
Bulgarie 43
Espagne 41
Pologne 39
37 recours directs dont 35 recours en manquement et 2 recours en « double manquement »
209 pourvois introduits contre les décisions du Tribunal
6 demandes d’aide juridictionnelle
Une partie qui n’est pas en mesure de faire face aux frais de l’instance peut demander à bénéficier de l’aide juridictionnelle.

808 affaires réglées
546 procédures préjudicielles dont 7 procédures préjudicielles d’urgence (PPU)
36 recours directs dont 17 manquements constatés contre 12 États membres
196 pourvois contre les décisions du Tribunal dont 38 ont annulé la décision adoptée par le Tribunal
1 avis
Durée moyenne des procédures : 16,4 mois
Durée moyenne des procédures préjudicielles d’urgence : 4,5 mois

1 111 affaires pendantes au 31 décembre 2022
Principales matières traitées
Aides d’État 58
Concurrence 64
Droit institutionnel 38
Environnement 46
Espace de liberté, de sécurité et de justice 132
Fiscalité 80
Politique sociale 73
Propriété intellectuelle 33
Protection des consommateurs 77
Rapprochement des législations 89
Les membres de la Cour de justice
La Cour de justice est composée de 27 juges et de 11 avocats généraux.
Les juges et les avocats généraux sont désignés d’un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d’un comité chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats proposés à l’exercice des fonctions en cause. Leur mandat est de six ans, renouvelable.
Ils sont choisis parmi des personnalités offrant toutes les garanties d’indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l’exercice, dans leur pays respectif, des plus hautes fonctions juridictionnelles ou qui possèdent des compétences notoires.
Les juges exercent leurs fonctions en toute impartialité et indépendance.
Les juges de la Cour de justice désignent parmi eux le président et le vice-président. Les juges et les avocats généraux nomment le greffier pour un mandat de six ans.
Les avocats généraux sont chargés de présenter, en toute impartialité et en toute indépendance, un avis juridique, dénommé « conclusions » dans les affaires dont ils sont saisis. Cet avis n’est pas contraignant, mais permet d’apporter un regard complémentaire sur l’objet du litige.
En 2022, aucun nouveau membre n’a été nommé à la Cour de justice.

K. Lenaerts

L. Bay Larsen

A. Arabadjiev

A. Prechal

K. Jürimäe

C. Lycourgos

E. Regan

M. Szpunar

M. Safjan

P. G. Xuereb

L. S. Rossi

D. Gratsias

M. L. Arastey Sahún

J. Kokott

M. Ilešič

J.-C. Bonichot

T. von Danwitz

S. Rodin

F. Biltgen

M. Campos Sánchez-Bordona

N. J. Cardoso da Silva Piçarra

G. Pitruzzella

I. Jarukaitis

P. Pikamäe

A. Kumin

N. Jääskinen

N. Wahl

J. Richard de la Tour

A. Rantos

I. Ziemele

J. Passer

A. M. Collins

M. Gavalec

N. Emiliou

Z. Csehi

O. Spineanu-Matei

T. Ćapeta

L. Medina

A. Calot Escobar
Ordre protocolaire à partir du 07/10/2022
B | Le Tribunal en 2022
Le Tribunal peut principalement être saisi, en première instance, des recours directs formés par les personnes physiques ou morales, lorsqu’elles sont individuellement et directement concernées (individus, sociétés, associations, etc.) et par les États membres contre les actes des institutions, organes ou organismes de l’Union européenne, ainsi que des recours directs visant à obtenir la réparation des dommages causés par les institutions ou leurs agents.
Une large partie de son contentieux est de nature économique : propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles de l’Union européenne), concurrence, aides d’État et surveillance bancaire et financière.
Le Tribunal est également compétent pour statuer en matière de fonction publique sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents.
Les décisions du Tribunal peuvent faire l’objet d’un pourvoi, limité aux questions de droit, devant la Cour de justice. Dans les affaires ayant déjà bénéficié d’un double examen (par une chambre de recours indépendante, puis par le Tribunal), la Cour de justice admet la demande de pourvoi uniquement s’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.
L’activité et l’évolution du Tribunal
L’année 2022 a marqué le retour de la guerre sur notre continent. Ce terrible événement doit être un moment de prise de conscience collective pour tous les européens. La paix n’est jamais acquise et requiert un engagement de tous. Notre institution est au cœur de cet engagement. La Cour de justice et le Tribunal ont en effet pour mission d’assurer le respect de la règle de droit et d’œuvrer pour la protection de la dignité humaine. Dans l’Union, les conflits ne se règlent pas par les menaces et les armes, mais par la discussion et le droit. Dans ce contexte, le Tribunal est notamment appelé, parfois dans des délais très courts, à contrôler la légalité des mesures restrictives adoptées par l’Union à l’égard de personnes ou entités liées à l’agression perpétrée par la Fédération de Russie depuis février 2022. L’arrêt dans l’affaire RT France/Conseil a ainsi pu être rendu, par la grande chambre du Tribunal, dans le cadre d’une procédure accélérée, cinq mois après son introduction. À ce jour, plus de 70 affaires de mesures restrictives liées au conflit armé ont été introduites. C’est l’honneur de notre Union que de telles mesures ne soient pas marquées du sceau de l’arbitraire et fassent donc l’objet d’un contrôle par des juges indépendants et impartiaux.
Plus que jamais, les affaires portées devant le Tribunal ont reflété les grands enjeux sociétaux auxquels notre continent est confronté. Au-delà des mesures restrictives, qui ne concernent pas que l’agression de l’Ukraine, il s’agit notamment de la régulation concurrentielle des géants du numérique et de l’encadrement des aides étatiques, notamment dans le domaine fiscal et dans le secteur de l’énergie et de l’environnement. Il s’agit également du droit bancaire et financier, de la protection des données personnelles, de la politique commerciale commune ou encore de la régulation des marchés de l’énergie. Au vu des développements législatifs récents et du contexte international marqué par des tensions toujours plus importantes, le contrôle de la légalité des actes des institutions de l’Union pourrait être amené à s’intensifier.
Qu’on ne s’y trompe pas : le Tribunal est pleinement conscient de ses responsabilités. Il dispose des ressources pour y faire face. La juridiction a notamment connu l’arrivée de huit nouveaux membres lors de l’année écoulée, marquant ainsi l’achèvement de la réforme initiée par le règlement 2015/2422. Constituée maintenant de 54 membres, la juridiction dispose enfin de deux juges par État membre. En vue de la nouvelle période triennale qui s’est ouverte en septembre 2022, elle a également mené des réflexions plus poussées sur son organisation et ses méthodes de travail, en mettant l’accent sur l’approfondissement du contrôle juridictionnel, sur l’accompagnement des parties au litige tout au long de l’instance et sur la durée des procédures (16,2 mois en moyenne pour 2022). Le Tribunal ainsi renforcé et réorganisé s’est donné un cap : celui de rendre une justice de qualité, compréhensible par le justiciable, dans des délais cohérents avec les attentes du monde d’aujourd’hui.
L’architecture juridictionnelle de l’Union doit continuellement s’adapter aux défis de notre temps. C’est dans cet état d‘esprit que la Cour de justice a introduit en novembre 2022 une demande législative visant notamment à définir les matières spécifiques dans lesquelles le Tribunal pourrait être compétent pour connaître des questions préjudicielles soumises par les juridictions des États membres (article 256 TFUE). Le Tribunal est disponible pour soutenir la Cour de justice, qui doit faire face à une charge de travail croissante. Étroitement associé aux réflexions ayant mené à cette initiative, le Tribunal prépare d’ores et déjà sa mise en œuvre.
Marc van der Woude
Président du Tribunal


904 affaires introduites

858 affaires réglées
760 recours directs dont :

1 474 affaires pendantes au 31 décembre 2022
Principales matières du recours
Innovations jurisprudentielles
Au Tribunal comme ailleurs, une actualité chasse l’autre. Alors que les litiges nés de la pandémie de Covid‑19 le conduisent encore sur des sentiers inexplorés, comme en témoigne l’arrêt Roos e.a./Parlement du 27 avril 2022 (T‑710/21, T‑722/21 et T‑723/21) examinant pour la première fois la légalité de certaines restrictions imposées par les institutions de l’Union européenne en vue de protéger la santé de leur personnel, l’agression militaire perpétrée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine le 24 février 2022 a donné naissance à un nouveau foyer contentieux. Aussi, dans son arrêt RT France/Conseil du 27 juillet 2022 (T‑125/22), le Tribunal, réuni en grande chambre, s’est prononcé de manière inédite, au terme d’une procédure accélérée, sur la légalité de mesures restrictives adoptées par le Conseil et visant à interdire la diffusion de contenus audiovisuels.
Pour autant, aussi riche qu’elle puisse être, cette actualité ne saurait éclipser les nombreuses avancées jurisprudentielles que le Tribunal a menées à bien dans des contextes plus classiques.
Ainsi, en matière institutionnelle, le Tribunal, dans l’arrêt Verelst/Conseil du 12 janvier 2022 (T‑647/20), s’est penché pour la première fois sur la légalité de la décision d’exécution 2020/1117 portant nomination des procureurs européens du Parquet européen, adoptée en application du règlement 2017/1939 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création dudit Parquet. Au terme de son examen, il est parvenu à la conclusion que le Conseil disposait d’une large marge d’appréciation dans l’évaluation et la comparaison des mérites des candidats au poste de procureur européen d’un État membre, ajoutant que, en l’espèce, la sélection et la nomination du candidat retenu avaient respecté les limites de ce large pouvoir d’appréciation. Dans le domaine des marchés publics, le Tribunal, dans l’arrêt Leonardo/Frontex du 26 janvier 2022 (T‑849/19), a examiné la recevabilité d’un recours en annulation dirigé contre un avis de marché et ses annexes émanant d’une entreprise qui n’avait pas participé à l’appel d’offres organisé par cet avis. Statuant en formation élargie, il a jugé qu’une entreprise qui démontrait que sa participation à une procédure d’appel d’offres avait été rendue impossible par les prescriptions du cahier des charges était susceptible de justifier d’un intérêt à agir à l’encontre de plusieurs documents d’un marché. Enfin, en matière de concurrence, dans l’arrêt Illumina/Commission du 13 juillet 2022 (T‑227/21), le Tribunal s’est prononcé pour la première fois sur l’application du mécanisme de renvoi prévu par l’article 22 du règlement 139/2004 sur les concentrations à une opération dont la notification n’était pas requise dans l’État ayant demandé son renvoi, mais qui impliquait l’acquisition d’une entreprise dont l’importance pour la concurrence ne se reflétait pas dans son chiffre d’affaires. En l’occurrence, le Tribunal a admis, dans son principe, que la Commission puisse se reconnaître compétente dans une telle situation.
Savvas S. Papasavvas
Vice-président du Tribunal

Les membres du Tribunal
Le Tribunal est composé de deux juges par État membre.
Les juges sont choisis parmi les personnes offrant toutes les garanties d’indépendance et possédant la capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles. Ils sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d’un comité chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats. Leur mandat est de six ans, renouvelable. Ils désignent parmi eux, pour trois ans, le président et le vice-président. Ils nomment le greffier pour un mandat de six ans.
Les juges exercent leurs fonctions en toute impartialité et indépendance.

M. van der Woude

S. Papasavvas

D. Spielmann

A. Marcoulli

F. Schalin

R. da Silva Passos

J. Svenningsen

M. J. Costeira

K. Kowalik-Bańczyk

A. Kornezov

L. Truchot

O. Porchia

M. Jaeger

S. Frimodt Nielsen

H. Kanninen

J. Schwarcz

M. Kancheva

E. Buttigieg

V. Tomljenović

S. Gervasoni

L. Madise

V. Valančius

N. Półtorak

I. Reine

P. Nihoul

U. Öberg

C. Mac Eochaidh

G. De Baere

R. Frendo

T. R. Pynnä

J. C. Laitenberger

R. Mastroianni

J. Martín y Pérez de Nanclares

G. Hesse

M. Sampol Pucurull

M. Stancu

P. Škvařilová-Pelzl

I. Nõmm

G. Steinfatt

R. Norkus

T. Perišin

D. Petrlík

M. Brkan

P. Zilgalvis

K. Kecsmár

I. Gâlea

I. Dimitrakopoulos

D. Kukovec

S. Kingston

T. Tóth

B. Ricziová

E. Tichy- Fisslberger

W. Valasidis

S. Verschuur

E. Coulon
Ordre protocolaire à partir du 19/09/2022
C | La jurisprudence en 2022
- focus Le règlement qui conditionne le versement des fonds européens au respect de l’État de droit est valide
- focus Le droit d’agir en justice des associations de protection de l’environnement
- focus Le droit à l’oubli face au droit à l’information
- focus Guerre en Ukraine : interdiction de diffuser imposée à des médias pro-russes et liberté d’expression
- focus Amende record de 4,125 milliards d’euros infligée à Google pour des restrictions imposées aux fabricants d’appareils mobiles Android
- Retour sur les grands arrêts de l’année

focus
Le règlement qui conditionne le versement des fonds européens au respect de l’État de droit est valide

L’État de droit
C’est une des valeurs fondamentales de l’Union qui recouvre :
- le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste ;
- le principe de sécurité juridique ;
- l’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif ;
- le principe de protection juridictionnelle effective (accès à une justice indépendante et impartiale) ;
- le principe de séparation des pouvoirs ;
- le principe de non-discrimination et d’égalité devant la loi.
Afin de protéger le budget de l’Union et les intérêts financiers de celle-ci contre des atteintes résultant de violations de l’État de droit en tant que valeur fondamentale sur laquelle l’Union est fondée, l’Union s’est dotée d’un nouveau régime de conditionnalité.
Ce régime, instauré par le règlement 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par les États membres des principes de l’État de droit. Ce règlement permet au Conseil, au terme d’une investigation menée par la Commission, de prendre des mesures — telles que la suspension des paiements ou des corrections financières — pour protéger le budget de l’Union et ses intérêts financiers lorsque de telles violations risquent de leur porter atteinte.
Ce règlement a été contesté par la Hongrie et la Pologne devant la Cour de justice. Compte tenu de leur importance exceptionnelle, les affaires ont été jugées par l’assemblée plénière de la Cour de justice.
Le 16 février 2022, la Cour de justice a rejeté les recours de la Hongrie et de la Pologne.
La Cour de justice souligne que l’Union est fondée sur des valeurs communes aux États membres, dont l’État de droit. Ces valeurs communes définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun et ont été acceptées par tous les États membres lors de leur adhésion à l’Union. Le respect des principes de l’État de droit constitue ainsi une obligation de résultat pour les États membres, découlant directement de leur appartenance à l’Union. Il conditionne la jouissance par ces États de tous les autres droits découlant de l’application des traités.
Les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. Les États membres ne peuvent garantir une bonne gestion financière que si les autorités publiques agissent en conformité avec le droit, si les violations du droit sont effectivement poursuivies et si les décisions arbitraires ou illégales des autorités publiques peuvent faire l’objet d’un contrôle juridictionnel effectif par un pouvoir judiciaire indépendant et impartial. L’Union doit donc être en mesure de défendre ses intérêts financiers, notamment par des mesures de protection du budget de l’Union. Par conséquent, la Cour de justice constate que le régime institué par le règlement attaqué relève bien de la notion de règles financières fixant notamment les modalités relatives à l’exécution du budget de l’Union [article 322 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)]. Le règlement a donc été correctement adopté sur cette base juridique.
La Cour de justice explique également, en réponse à certains arguments de la Hongrie et de la Pologne, que le mécanisme de conditionnalité ne contourne pas la procédure prévue à l’article 7 du traité sur l’Union européenne (TUE). Les deux procédures poursuivent une finalité différente et ont un objet distinct. En particulier, l’article 7 TUE permet de répondre à toute violation grave et persistante d’une des valeurs fondatrices de l’Union, ou à tout risque clair d’une telle violation, alors que le règlement attaqué n’est applicable qu’aux violations des principes de l’État de droit et uniquement s’il existe des motifs raisonnables de considérer que ces violations ont une incidence budgétaire.
La Cour de justice écarte également l’argument selon lequel les principes de l’État de droit n’auraient pas de contenu matériel concret en droit de l’Union. Ces principes ont été amplement développés dans sa jurisprudence et sont ainsi précisés dans l’ordre juridique de l’Union. Ils trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées par les États membres dans leurs propres ordres juridiques. Par conséquent, les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.
Enfin, la mise en œuvre du mécanisme de conditionnalité exige qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union. Cette mise en œuvre impose également des exigences procédurales strictes vis-à-vis de la Commission. La Hongrie et la Pologne ne sont donc pas fondées à prétendre que les pouvoirs accordés à la Commission et au Conseil sont trop étendus. La Cour de justice en conclut que le règlement attaqué répond aux exigences de sécurité juridique.
L’article 7 TUE
Cette disposition décrit la procédure permettant de suspendre certains droits découlant de l’application des traités à un État membre en cas de violation grave et persistante des valeurs communes aux États membres visées à l’article 2 TUE, parmi lesquelles figure l’État de droit. La Hongrie et la Pologne prétendaient que le règlement « conditionnalité » permettait illégalement, en instaurant une procédure parallèle, de contourner les conditions précises prévues à l’article 7 TUE en vue de sanctionner un État membre.
Le respect de l’État de droit a fait l’objet de nombreux arrêts de la Cour de justice, parmi lesquels :
- arrêt Associação Sindical dos Juízes Portugueses (Indépendance des juges – Réduction des rémunérations dans la fonction publique nationale) du 27 février 2018 (C‑64/16) ;
- arrêt Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges – Limitation du droit et de l’obligation des juridictions nationales de saisir la Cour de demandes de décision préjudicielle) du 15 juillet 2021 (C‑791/19) ;
- arrêt Repubblika (Indépendance des juges d’un État membre – Procédure de nomination – Pouvoir du Premier ministre – Participation d’une commission des nominations judiciaires) du 20 avril 2021 (C‑896/19).
Le principe de sécurité juridique
Ce principe exige que les règles de droit soient claires et précises et que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir des conséquences défavorables. Une réglementation doit donc permettre aux intéressés de connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et de prendre leurs dispositions en conséquence.

focus
Le droit d’agir en justice des associations de protection de l’environnement

Arrêt Deutsche Umwelthilfe (Réception des véhicules à moteur) du 8 novembre 2022 (C‑873/19)
Afin de protéger l’environnement et d’améliorer la qualité de l’air, le règlement de l’Union européenne relatif à la réception par type de véhicules à moteur interdit l’utilisation de dispositifs qui agissent sur le système de contrôle des émissions de gaz polluants afin de réduire leur efficacité (dispositifs dits « d’invalidation »). Toutefois, cette interdiction connaît trois exceptions, en particulier lorsque « le besoin du dispositif se justifie en termes de protection du moteur contre des dégâts ou un accident et pour le fonctionnement en toute sécurité du véhicule ».
Deutsche Umwelthilfe, une association allemande de protection de l’environnement, estime que l’Office fédéral allemand pour la circulation des véhicules à moteur a violé l’interdiction en cause en autorisant, pour certains véhicules de la marque Volkswagen, l’utilisation d’un logiciel réduisant le recyclage des gaz polluants, notamment l’oxyde d’azote (NOx). Ce logiciel, appelé « fenêtre de températures », permettait d’adapter le taux de purification des gaz d’échappement en fonction de la température extérieure. Le placement de ce logiciel avait donc pour résultat que le recyclage des gaz polluants n’était pleinement efficace que si la température extérieure était supérieure à 15°C. Or, pour l’année 2018, la température moyenne annuelle en Allemagne a été de 10,4°C.
Deutsche Umwelthilfe a contesté l’autorisation devant une juridiction allemande. Celle-ci s’est adressée à la Cour de justice pour obtenir des éclaircissements sur deux questions.
1. La juridiction allemande relève que, selon le droit allemand, il n’existe pas de possibilité pour Deutsche Umwelthilfe d’introduire un recours contre l’autorisation donnée par l’Office fédéral car le règlement européen qu’elle invoque ne vise pas à protéger les citoyens individuellement. La juridiction allemande demande à la Cour de justice si cette impossibilité est compatible avec la convention d’Aarhus et avec le droit à un recours effectif garanti par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Dans son arrêt du 8 novembre 2022, la Cour de justice juge que, conformément à la convention d’Aarhus, lue à la lumière de la charte, une association de protection de l’environnement, habilitée à agir en justice, ne peut pas être privée de la possibilité de faire contrôler, par les juridictions nationales, le respect de certaines normes du droit de l’Union en matière d’environnement. Une telle association doit pouvoir ainsi contester en justice une autorisation accordée pour des dispositifs d’invalidation.
2. La juridiction allemande demande également si le « besoin » de recourir au dispositif de « fenêtre de températures », qui permet exceptionnellement de justifier son installation pour protéger le moteur ou pour son fonctionnement en toute sécurité, doit s’évaluer en tenant compte de la technologie existant à la date de l’autorisation ou s’il convient de tenir compte d’autres circonstances.
La Cour de justice souligne qu’un dispositif d’invalidation, tel qu’une « fenêtre de températures », peut exceptionnellement être justifié si les conditions suivantes sont remplies :
- le dispositif doit répondre strictement au besoin d’éviter les risques immédiats de dégâts ou d’accident au moteur, occasionnés par un dysfonctionnement d’un composant du système de recyclage des gaz d’échappement ;
- ces dégâts doivent être d’une gravité telle qu’ils génèrent un danger concret lors de la conduite du véhicule ;
- au moment de l’autorisation du dispositif ou du véhicule qui en est équipé, aucune autre solution technique ne permet d’éviter ces risques.
Enfin, même si le besoin est établi, le dispositif d’invalidation doit, de toute façon, être interdit si sa conception a pour résultat que, dans des conditions normales de circulation, son fonctionnement est activé durant la majeure partie de l’année. En effet, dans ce cas, l’exception serait plus souvent appliquée que l’interdiction, ce qui porterait une atteinte disproportionnée au principe même de la limitation des émissions d’oxyde d’azote (NOx).
La Cour de justice juge régulièrement des affaires dans le domaine de l’environnement. Parmi les plus récentes, on trouve :
- arrêt « Ville de Paris e.a. » (Réception des véhicules - Valeurs d’émissions d’oxydes d’azote - Procédure d’essai des émissions en conditions de conduite réelles) du 13 janvier 2022 (C‑177/19 P e.a.) ;
- arrêts GSMB Invest, Volkswagen et Porsche Inter Auto et Volkswagen (Véhicules Diesel - Émissions d’oxyde d’azote (NOx) - Dispositifs d’invalidation interdits - « Fenêtre de températures ») du 14 juillet 20220 (C‑128/20 e.a.) ;
- arrêt Commission/Espagne (Valeurs limites – NO2) du 22 décembre 2022 (C‑125/20) ;
- arrêt Ministre de la Transition écologique et Premier ministre (Responsabilité de l’État pour la pollution de l’air) du 22 décembre 2022 (C‑61/21).

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Le droit à l’oubli face au droit à l’information

Arrêt Google (Déréférencement d’un contenu prétendument inexact) du 8 décembre 2022 (C‑ 460/20)
Le règlement général sur la protection des données (RGPD)
Entré en application en 2018, le RGPD donne aux citoyens plus de contrôle sur leurs données personnelles et responsabilise les sujets qui les détiennent.
Parmi les droits consacrés dans le RGPD figurent :
- le droit à l’information sur le traitement des données ;
- le droit d’accès aux données détenues ;
- le droit d’obtenir la correction des données inexactes ou incomplètes ;
- le droit à l’effacement des données qui ont été traitées de manière illicite ou qui ne sont plus nécessaires au regard des finalités de leur traitement (mieux connu en tant que « droit à l’oubli ») ;
- le droit à la portabilité des données (récupérer les données fournies à un responsable du traitement).
La protection des données à caractère personnel est réglementée, au niveau de l’Union européenne, par le règlement général sur la protection des données.
Le droit à la protection des données personnelles n’est toutefois pas absolu. Il doit être mis en balance avec d’autres droits fondamentaux, conformément au principe de proportionnalité. Parmi ces autres droits fondamentaux figure le droit à la liberté d’information.
Dans l’arrêt Google, prononcé le 8 décembre 2022, la Cour de justice a rappelé l’importance de cette mise en balance et l’a mise en œuvre en réponse à une question de la Cour fédérale de justice allemande sur le droit à l’oubli.
Le litige concernait deux dirigeants d’un groupe de sociétés d’investissements ayant demandé à Google de déréférencer les résultats des recherches effectuées à partir de leurs noms. Le résultat de ces recherches reprenait des liens vers des articles de presse qui présentaient de manière critique le modèle d’investissement de ce groupe. Les deux dirigeants faisaient valoir que ces articles contenaient des allégations inexactes. Ils demandaient en outre que des photos d’eux, affichées sous la forme de vignettes (thumbnails) en dehors de tout élément contextuel, soient supprimées de la liste de ces résultats.
Google a refusé de donner suite à ces demandes, en renvoyant au contexte professionnel dans lequel s’inscrivaient ces articles et photos, et en faisant valoir qu’elle ignorait si les informations contenues dans les articles étaient exactes ou non.
Saisie du litige, la Cour fédérale de justice allemande a demandé à la Cour de justice d’interpréter le règlement général sur la protection des données à la lumière de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, le règlement prévoit expressément que le droit à l’oubli est exclu lorsque le traitement des données personnelles en cause est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’information.
La Cour de justice souligne que le droit à la protection de la vie privée et à la protection des données personnelles prévaut, en règle générale, sur l’intérêt légitime des internautes à avoir accès à l’information. Mais cet équilibre peut dépendre de la nature de cette information et de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée. Il dépend aussi de l’intérêt du public à disposer de l’information. Cet intérêt peut varier en fonction du rôle joué par cette personne dans la vie publique.
Toutefois, le droit à la liberté d’expression et d’information ne peut pas être pris en compte lorsque des informations figurant dans le contenu référencé (et qui n’ont pas une importance mineure) se révèlent inexactes.
Quand une personne introduit une demande de déréférencement, des obligations s’imposent à l’exploitant du moteur de recherche :
- Il doit vérifier si un contenu peut continuer à être inclus dans la liste de résultats des recherches effectuées par l’intermédiaire de son moteur de recherche. Si la demande présente des éléments de preuve suffisants, l’exploitant du moteur de recherche est tenu de faire droit à cette demande.
- Si la demande n’établit pas de manière manifeste l’inexactitude des informations, il n’est pas tenu de procéder à l’effacement. Dans ce cas, le demandeur doit toutefois pouvoir saisir l’autorité de contrôle de la protection des données ou l’autorité judiciaire pour que celles-ci effectuent les vérifications nécessaires et ordonnent, le cas échéant, à l’exploitant d’adopter les mesures qui s’imposent.
- Il doit avertir les internautes de l’existence d’une procédure administrative ou juridictionnelle portant sur le caractère prétendument inexact d’un contenu.
- Il doit vérifier si l’affichage des photos sous la forme de vignettes (thumbnails) est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’information des internautes potentiellement intéressés à y avoir accès. L’affichage de photos d’une personne constitue en effet une ingérence particulièrement importante dans sa vie privée. Le fait que cet accès contribue à un débat d’intérêt général constitue un élément primordial à prendre en considération dans la mise en balance avec d’autres droits fondamentaux.
La protection des données personnelles est une matière qui donne lieu à un nombre important d’affaires devant la Cour de justice.
Quelques arrêts récents en lien avec l’évolution des technologies de l’information et de la communication :
- arrêt Facebook Ireland et Schrems du 16 juillet 2020 concernant le niveau de protection à assurer en cas de transfert de données personnelles vers un pays tiers (C‑311/18) ;
- arrêts La Quadrature du Net e.a. du 6 octobre 2020 sur l’interdiction d’une réglementation nationale imposant la transmission ou la conservation généralisée et indifférenciée de données relatives au trafic et à la localisation (C‑511/18 e.a.) ;
- arrêt Prokuratuur du 2 mars 2021 concernant l’accès des autorités publiques aux données de trafic ou de localisation en vue de la lutte contre la criminalité grave (C‑746/18) ;
- arrêt Facebook Ireland e.a. du 15 juin 2021 sur les pouvoirs des autorités nationales de contrôle (C‑645/19) ;
- arrêt Vyriausioji tarnybinės etikos komisija du 1er août 2022 sur la transparence des déclarations d’intérêts privés de travailleurs ou dirigeants du secteur public (C‑184/20).

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Guerre en Ukraine : interdiction de diffuser imposée à des médias pro-russes et liberté d’expression

Arrêt RT France/Conseil du 27 juillet 2022 (T‑125/22)
La procédure de référé
Dans l’attente de la décision finale du Tribunal, RT France a demandé au Président du Tribunal, le 8 mars 2022, de suspendre immédiatement les effets de la décision d’interdiction d’activités de diffusion. Cette demande, appelée procédure de référé, a été rejetée le 30 mars. Le Président a jugé en particulier que RT France n’avait pas démontré que l’interdiction lui causait un préjudice irréparable. Il n’existait donc pas une urgence particulière justifiant cette suspension avant le prononcé définitif de l’affaire.
Le 24 février 2022, la Fédération de Russie a lancé une guerre d’agression contre l’Ukraine. Dans le cadre de sa politique étrangère et de sécurité commune, l’Union européenne a réagi à cette violation du droit international, notamment en imposant des sanctions à la Fédération de Russie. Le 1er mars 2022, le Conseil de l’Union européenne a interdit les activités de diffusion de certains médias dans l’Union ou en direction de l’Union pour contrer des actions de propagande russe.
L’interdiction a visé notamment RT France, une chaîne de télévision financée par le budget de l’État russe, qui a saisi le Tribunal de l’Union européenne le 8 mars 2022 afin d’obtenir l’annulation de cette décision du Conseil.
Vu l’importance et l’urgence de l’affaire, le Tribunal s’est réuni en grande chambre (15 juges), a mis en œuvre, d’office, pour la première fois, la procédure accélérée, ce qui lui a permis de se prononcer en moins de 5 mois.
Dans son arrêt du 27 juillet, le Tribunal rejette le recours dans son intégralité. L’arrêt repose sur trois éléments essentiels :
- Le Conseil dispose d’une grande latitude pour définir des mesures restrictives en matière de politique étrangère et de sécurité commune. Il peut recourir à une interdiction temporaire de diffusion de contenus de certains médias financés par le budget de l’État russe si ces médias soutiennent l’agression militaire par la Russie. La mise en œuvre uniforme d’une interdiction de ce type est mieux réalisée au niveau de l’Union qu’au niveau national.
- L’interdiction de diffusion, qui a été décidée sans entendre au préalable RT France, ne constitue pas une violation des droits de la défense. Le contexte exceptionnel et d’extrême urgence lié au déclenchement d’une guerre aux frontières de l’Union nécessitait une réaction rapide. La mise en œuvre immédiate des mesures d’interdiction d’un vecteur de propagande en faveur de l’agression militaire était essentielle pour assurer leur efficacité.
- La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Cette liberté est applicable non seulement aux idées accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives, mais également à celles qui offensent, choquent ou inquiètent. Cela découle des exigences du pluralisme, de la tolérance et de l’esprit d’ouverture sans lesquelles il n’existe pas de société démocratique.
Mais il peut s’avérer nécessaire, dans les sociétés démocratiques, de sanctionner les formes d’expression qui propagent, justifient ou incitent à la haine fondée sur l’intolérance, l’usage et l’apologie de la violence.
La mesure d’interdiction prise contre RT France poursuit cet objectif. Elle vise àprotéger l’ordre et la sécurité publics de l’Union, menacés par la campagne systématique de propagande mise en place par la Russie, et à exercer une pression sur les autorités russes afin qu’elles mettent fin à l’agression militaire. Cette mesure est également proportionnée car elle est appropriée et nécessaire aux buts recherchés. Il existe suffisamment d’indices concrets, précis et concordants démontrant que RT France soutenait de manière active la politique déstabilisatrice et agressive menée par la Fédération de Russie qui a finalement débouché sur une offensive militaire d’envergure contre l’Ukraine. Aucun des éléments présentés par RT France ne permet d’attester qu’elle assurait un traitement globalement équilibré des informations concernant la guerre en cours et respectueux des principes en matière de « devoirs et responsabilités » des médias audiovisuels.
Les mesures restrictives ou sanctions
Ce sont des outils dont disposent l’Union européenne pour promouvoir les objectifs de sa politique étrangère et de sécurité commune. Il s’agit notamment de sauvegarder les valeurs de l’UE, ses intérêts fondamentaux et sa sécurité, de consolider et soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international, de préserver la paix et de prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale.
Ces mesures peuvent viser des gouvernements de pays tiers ou des entités non étatiques (par exemple des entreprises) et des individus (tels que des groupes terroristes). Pour la majorité des cas, les mesures visent des individus ou des entités et consistent en des gels d’avoirs et des interdictions de voyager dans l’UE.
Le Tribunal est saisi d’un grand nombre d’affaires impliquant des mesures restrictives : il s’agit notamment de sanctions dans le contexte d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou en raison de la situation en Syrie et en Biélorussie, ou encore à l’encontre de la République démocratique du Congo.

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Amende record de 4,125 milliards d’euros infligée à Google pour des restrictions imposées aux fabricants d’appareils mobiles Android

Arrêt Google et Alphabet/Commission (Google Android) du 14 septembre 2022 (T‑604/18)
Google est une entreprise du secteur des technologies de l’information et de la communication spécialisée dans les produits et les services liés à l’Internet. Elle tire l’essentiel de ses revenus de son produit phare, le moteur de recherche Google Search. Son modèle commercial est basé sur l’interaction entre, d’une part, un certain nombre de produits et de services proposés le plus souvent sans frais aux utilisateurs et, d’autre part, des services de publicité en ligne utilisant les données collectées auprès de ces utilisateurs. Google propose, en outre, le système d’exploitation Android, dont environ 80 % des appareils mobiles intelligents utilisés en Europe étaient équipés en juillet 2018, selon la Commission européenne.
À la suite de plaintes adressées à la Commission, celle-ci a ouvert une procédure à l’encontre de Google en 2015. Cette procédure a abouti en 2018 à une sanction de 4,343 milliards d’euros infligée à Google pour avoir imposé des restrictions illégales aux fabricants d’appareils mobiles Android et aux opérateurs de réseaux mobiles. Ces restrictions consistaient à imposer aux fabricants d’appareils mobiles :
- de préinstaller Google Search et Chrome pour pouvoir obtenir la licence d’exploitation de Play Store ;
- de s’abstenir de vendre des appareils équipés de versions Android non agréées par Google ;
- de renoncer à préinstaller un service de recherche concurrent pour pouvoir obtenir une part des revenus publicitaires de Google.
Selon la Commission, ces restrictions avaient pour objectif de consolider la position dominante du moteur de recherche de Google et ses revenus obtenus au moyen des annonces publicitaires liées à ces recherches.
Qu’est-ce qu’un abus de position dominante ?
La position dominante est une situation de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective et de se comporter indépendamment de ses concurrents, de ses clients, de ses fournisseurs et du consommateur final.
Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdit aux entreprises d’abuser de leur position dominante pour restreindre ou fausser la concurrence, par exemple en imposant des prix abusifs, des accords de vente exclusifs, ou des primes de fidélité visant à détourner les fournisseurs de leurs concurrents.
Il s’agit de l’amende la plus importante jamais infligée en Europe par une autorité de concurrence. Google a introduit un recours devant le Tribunal pour contester la décision de la Commission.
Dans le cas de l’affaire Google et Alphabet, le dossier de l’affaire représentait plus de 100 000 pages. Lors de l’audience, 72 avocats et représentants étaient présents, pour 13 parties différentes (la partie requérante, Google et Alphabet ; la partie défenderesse, la Commission européenne ; 11 parties intervenantes au soutien soit de la requérante soit de la défenderesse). L’audience s’est déroulée sur cinq jours.
L’affaire a été tranchée dans l’arrêt Google et Alphabet/Commission du 14 septembre 2022. Le Tribunal a largement confirmé la décision de la Commission et a rejeté l’essentiel du recours. Cependant, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas suffisamment démontré la capacité de certains comportements de Google à restreindre la concurrence et qu’elle n’aurait pas dû refuser la possibilité à Google de présenter ses arguments sur ce point lors d’une audition. À l’issue de sa propre appréciation de l’ensemble des circonstances, le Tribunal réduit finalement le montant de l’amende infligée à Google à 4,125 milliards d’euros.
Vérification des faits et de la bonne application du droit par le Tribunal
Les affaires de concurrence devant le Tribunal sont souvent complexes et volumineuses. Le Tribunal juge en première instance : il examine donc non seulement si la Commission a correctement appliqué le droit, mais également si les faits sont suffisamment établis. Les dossiers peuvent contenir des éléments de preuve et des études économiques détaillées visant à prouver ou à contester les effets des comportements des entreprises sur le marché.
Arrêt Qualcomm/Commission du 15 juin 2022 (T‑235/18)
Dans une autre affaire d’abus de position dominante, le Tribunal a intégralement annulé la décision de la Commission qui avait infligé à Qualcomm une amende d’environ 1 milliard d’euros pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des chipsets LTE (des composants électroniques qui équipent les smartphones et les tablettes). Selon la Commission, cet abus était caractérisé par l’existence d’accords prévoyant des paiements incitatifs, en vertu desquels Apple devait s’approvisionner en chipsets LTE exclusivement auprès de Qualcomm. Le Tribunal a constaté que plusieurs irrégularités de procédure ont affecté les droits de la défense de Qualcomm, notamment l’absence d’enregistrement de certains entretiens lors de l’enquête. Par ailleurs, le Tribunal a également relevé que l’analyse de la Commission sur les effets anticoncurrentiels des accords n’avait pas tenu compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes, notamment l’absence pour Apple d’alternative technique aux chipsets LTE.
Retour sur les grands arrêts de l’année
Environnement
La Cour de justice et l’environnement
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La protection de la faune et de la flore, la pollution de l’air, de la terre et de l’eau ainsi que les risques liés aux substances dangereuses constituent autant de défis que l’Union européenne contribue à relever en adoptant des règles strictes. Il en est ainsi pour la fixation de valeurs limites d’émission de polluants, dans les agglomérations notamment.
La direction de la Recherche et de la documentation propose aux professionnels du droit, dans le cadre de sa Collection des résumés, une « Sélection des grands arrêts » et un « Bulletin mensuel de jurisprudence » de la Cour de justice et du Tribunal.
Énergie
Dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine et la dépendance énergétique du continent européen vis-à-vis du reste du monde, l’Union européenne assure l’approvisionnement et la sécurité énergétique sur son territoire. Elle contribue à garantir le fonctionnement du marché de l’énergie et à maîtriser l’envolée des prix de l’énergie, en particulier celui du gaz et de l’électricité. De plus, elle assure l’interconnexion des réseaux énergétiques des États membres. En outre, l’Union promeut le développement des énergies renouvelables et la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. Les investissements des États membres étant susceptibles de compromettre la concurrence sur le marché de l’énergie, leur compatibilité avec le droit de l’Union est soumise à l’appréciation du Tribunal.
Consommateurs
Que fait la Cour de justice pour nous ?
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La Cour de justice : garantir les droits des consommateurs de l’Union européenne
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Le respect des droits des consommateurs, leur prospérité et leur bien-être sont des valeurs fondamentales dans le développement des politiques de l’Union. La Cour de justice contrôle l’application des règles qui protègent les consommateurs, afin de garantir la préservation de leur santé, de leur sécurité et de leurs intérêts économiques et juridiques quel que soit le lieu où ils résident ou se déplacent ou d’où ils effectuent leurs achats à l’intérieur de l’Union.
Égalité de traitement
La Cour de justice : garantir l’égalité de traitement et protéger les droits des minorités
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La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre l’égalité devant la loi de tous les individus en tant qu’êtres humains, travailleurs, citoyens ou parties à une procédure judiciaire. La directive 2000/78, en particulier, assure un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, en interdisant toute discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. La Cour de justice a tranché plusieurs affaires relatives à des cas présumés de discrimination, directe ou indirecte, en soulignant le respect dû au principe de proportionnalité entre l’objectif poursuivi par les règles mises en cause et le principe d’égalité de traitement.
Famille
L’Union européenne établit des règles pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, afin que les citoyens européens et notamment les familles ne soient pas gênés dans l’exercice de leurs droits parce qu’ils vivent dans différents États membres de l’Union ou parce qu’ils ont déménagé d’un État membre à un autre au cours de leur vie. Dans le même ordre d’idée, le règlement « Bruxelles II bis » régit la coopération judiciaire au sein de l’Union en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.
Données à caractère personnel
La Cour de justice dans le monde numérique
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L’Union européenne est dotée d’une réglementation formant un socle solide et cohérent pour la protection des données à caractère personnel, quels que soient le mode et le contexte de collecte, de conservation, de traitement et de transfert de ces données. La Cour de justice s’assure que les données personnelles traitées ou conservées se limitent au strict nécessaire et ne portent pas atteinte de manière disproportionnée au droit à la vie privée.
Espace de liberté, de sécurité et de justice
L’espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures se construit autour de plusieurs axes : la coopération judiciaire des États membres en matière civile et pénale, la coopération policière, le contrôle aux frontières extérieures, l’asile et l’immigration. La coopération judiciaire entre les États membres se concrétise notamment par le mandat d’arrêt européen, décision judiciaire d’un État membre en vue de l’arrestation d’une personne recherchée dans un autre État membre et de sa remise en raison de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine privative de liberté. En ce qui concerne l’asile, le droit de l’Union établit les conditions que les ressortissants des pays tiers ou les apatrides doivent remplir pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale (la directive sur les réfugiés). La Cour est régulièrement appelée à préciser la portée des règles applicables.
Sauvetage en mer
Dans le contexte d’opérations de sauvetage en mer s’est posée la question de l’étendue des pouvoirs des autorités de l’État membre du port à des fins de contrôle des navires battant pavillon d’un autre État membre de l’Union européenne en matière de sécurité maritime et environnementale.
Accès aux documents
La transparence de la vie publique est un principe clé de l’Union. Dès lors, tout citoyen ou personne morale de l’Union peut, en principe, accéder aux documents des institutions. Toutefois, dans certains cas, cet accès peut être refusé.
Concurrence et aides d’État
L’Union européenne applique des règles afin de protéger la libre concurrence. Les pratiques qui ont pour objet ou effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur sont interdites. Plus précisément, le droit de l’Union interdit certains accords ou échanges d’informations entre une entreprise et ses concurrents qui peuvent avoir un tel objet ou effet ainsi que l’exploitation de façon abusive d’une position dominante, sur un certain marché, par une entreprise. Dans cette même perspective, les aides d’État sont en principe interdites, sauf si elles sont justifiées et ne faussent pas la concurrence d’une façon contraire à l’intérêt général.
Propriété intellectuelle
La propriété intellectuelle et le Tribunal de l’Union européenne
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La Cour de justice et le Tribunal assurent l’interprétation et l’application de la réglementation adoptée par l’Union pour protéger l’ensemble des droits exclusifs sur les créations intellectuelles. La protection de la propriété intellectuelle (droits d’auteur) et industrielle (droit des marques, protection des dessins et modèles) améliore la compétitivité des entreprises en favorisant un environnement propice à la créativité et à l’innovation. Le droit de l’Union protège aussi le savoir-faire reconnu d’un produit dans une zone géographique de l’Union par le biais des appellations d’origine protégée (AOP).
Fiscalité
Les impositions directes relèvent en principe de la compétence des États membres. Néanmoins, elles doivent, comme par exemple l’imposition des sociétés, respecter les règles de base de l’Union européenne, telle que l’interdiction des aides d’État. Ainsi, les décisions fiscales anticipatives (« tax rulings ») de certains États membres ayant accordé à des entreprises multinationales un traitement fiscal particulier font l’objet de contrôles de la part de la Commission et le juge de l’Union est appelé à trancher.
État de droit
Faire respecter l’État de droit dans l‘Union
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La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – des règles contraignantes ayant des effets concrets
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La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tout comme le traité sur l’Union européenne, fait expressément référence à l’État de droit, l’une des valeurs communes aux États membres de l’Union sur lesquelles celle-ci est fondée. La Cour de justice est amenée, de plus en plus souvent, à se prononcer sur le respect de l’État de droit par les États membres, que ce soit dans le cadre de recours en manquement introduits contre ceux-ci par la Commission européenne ou de demandes de décision préjudicielle provenant des juridictions nationales. La Cour de justice doit alors examiner si cette valeur fondatrice est respectée au niveau national, notamment en ce qui concerne le pouvoir judiciaire et, plus particulièrement, dans le cadre du processus de nomination ou du régime disciplinaire des juges.
Mesures restrictives et politique étrangère
Les mesures restrictives ou « sanctions » constituent un instrument essentiel de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne. Elles sont utilisées dans le cadre d’une action intégrée et globale qui inclut notamment un dialogue politique. L’Union y recourt, notamment afin de préserver les valeurs, les intérêts fondamentaux et la sécurité de l’Union, et de prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale. Les sanctions cherchent, en effet, à susciter un changement de politique ou de comportement de la part des personnes ou entités visées, afin de promouvoir les objectifs de la PESC.