L’activité judiciaire

A | La Cour de justice en 2024
B | Le Tribunal en 2024
C | La jurisprudence en 2024

 
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A | La Cour de justice en 2024

La Cour de justice peut principalement être saisie de demandes de décision préjudicielle. Lorsqu’un juge national a des doutes sur l’interprétation d’une norme de l’Union ou sur sa validité, il suspend la procédure qui se tient devant lui et saisit la Cour de justice. Une fois éclairé par la décision rendue par la Cour de justice, le juge national peut alors résoudre le litige qui lui est soumis. Dans les affaires appelant une réponse dans un délai très bref (par exemple en matière d’asile, de contrôle aux frontières, d’enlèvements d’enfants, etc.), une procédure préjudicielle d’urgence est prévue.

La Cour peut également être saisie de recours directs, visant soit à obtenir l’annulation d’un acte de l’Union (« recours en annulation »), soit à faire constater qu’un État membre ne respecte pas le droit de l’Union (« recours en manquement »). En cas de non‑respect par l’État membre de l’arrêt constatant son manquement, un second recours, appelé recours en « double manquement », peut conduire la Cour de justice à lui infliger une sanction pécuniaire.

Par ailleurs, des pourvois peuvent être introduits contre les décisions rendues par le Tribunal. La Cour de justice peut annuler ces décisions du Tribunal.

Enfin, des demandes d’avis peuvent être adressées à la Cour de justice pour vérifier la compatibilité avec les traités d’un accord que l’Union envisage de conclure avec un État tiers ou une organisation internationale (introduites par un État membre ou par une institution européenne).

L’activité et l’évolution de la Cour de justice

Koen Lenaerts

Président de la Cour de justice de l’Union européenne

L’année écoulée a été marquée par l’adoption et la mise en œuvre de la réforme législative de l’architecture juridictionnelle de l’Union européenne par le règlement du Parlement et du Conseil 2024/2019 visant, à la demande de la Cour de justice, à équilibrer la charge du contentieux entre les deux juridictions de l’Union en tirant profit du doublement du nombre de juges au Tribunal décidé par le règlement du Parlement européen et du Conseil 2015/2422 en 2015. La Cour de justice devrait ainsi être à même de continuer à accomplir, dans des délais raisonnables, sa mission d’interprétation du droit de l’Union alors qu’elle connaît une hausse significative du contentieux porté devant elle ainsi qu’une augmentation du nombre d’affaires complexes et sensibles portant, notamment, sur des questions de nature constitutionnelle ou liées aux droits fondamentaux. En 2024, ce sont ainsi plus de 900 nouvelles affaires qui ont été introduites devant la Cour de justice, un chiffre proche du record de 2019, qui confirme la tendance haussière observée ces dernières années et souligne la nécessité de cette réforme.

Concrètement, celle‑ci s’est essentiellement traduite par un transfert partiel de la compétence préjudicielle de la Cour de justice au Tribunal. Ce transfert, effectif depuis le 1er octobre 2024, porte sur six matières spécifiques, à savoir le système commun de taxe sur la valeur ajoutée, les droits d’accise, le code des douanes, le classement tarifaire des marchandises dans la nomenclature combinée, l’indemnisation et l’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement, de retard ou d’annulation de services de transport, et le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre.

La Cour de justice demeure toutefois compétente pour connaître des demandes de décision préjudicielle qui, bien que relevant de l’une et/ou l’autre de ces matières spécifiques, portent également sur d’autres matières ou soulèvent des questions indépendantes d’interprétation du droit primaire (y compris la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), du droit international public ou des principes généraux du droit de l’Union.

La réforme devrait conduire à un allègement non négligeable de la charge de travail de la Cour de justice en matière préjudicielle, ce que tendent à confirmer les premières estimations couvrant les trois derniers mois de l’année écoulée.

Un autre volet de la réforme vise à préserver l’efficacité de la procédure de pourvoi contre les décisions du Tribunal. Afin de permettre à la Cour de justice de se concentrer sur les pourvois qui soulèvent des questions de droit importantes, le mécanisme d’admission préalable des pourvois s’étend, depuis le 1er septembre 2024, aux décisions du Tribunal relatives aux décisions de six nouvelles chambres de recours indépendantes d’organes ou organismes européens, qui se sont ajoutées aux quatre chambres de recours initialement visées lors de l’introduction de ce mécanisme. Ce dernier a par ailleurs été étendu aux litiges relatifs à l’exécution de contrats comportant une clause compromissoire.

Enfin, la réforme vise à renforcer la transparence de la procédure préjudicielle et à permettre ainsi une meilleure compréhension des décisions rendues par la Cour de justice ou par le Tribunal. Dorénavant, les observations écrites déposées dans les affaires préjudicielles seront en effet publiées sur le site internet de l’institution, dans un délai raisonnable après la clôture de l’affaire, à moins que l’auteur de ces observations ne s’y oppose.

Outre la modification du Statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la mise en œuvre de la réforme a entraîné la modification du règlement de procédure de la Cour de justice et du règlement de procédure du Tribunal, notamment afin de préciser les modalités du traitement initial des demandes de décision préjudicielle soumises dans le cadre du « guichet unique » et la procédure applicable aux demandes transmises au Tribunal par la Cour de justice. Le règlement de procédure de cette dernière comporte par ailleurs d’autres nouveautés visant à tenir compte des leçons de la crise sanitaire et de l’évolution des technologies, notamment en ce qui concerne la possibilité, pour les parties ou leurs représentants, de plaider par vidéoconférence dans le respect de conditions juridiques et techniques précises, la protection des données à caractère personnel dans le traitement des affaires, les modalités de dépôt et de signification des actes de procédure par la voie de l’application e‑Curia, ainsi que la retransmission de certaines audiences sur internet.

Les Recommandations aux juridictions nationales relatives à l’introduction de procédures préjudicielles, de même que les Instructions pratiques aux parties, ont été adaptées en conséquence.

Sur le plan de sa composition, l’institution a été endeuillée, en juin 2024, par le décès de M. Ilešič (Slovénie), juge à la Cour de justice depuis 2004.

Elle a, par ailleurs, pris congé de M. le juge Safjan (Pologne), en janvier 2024, et a connu au mois d’octobre un renouvellement partiel très important de sa composition, avec la cessation des fonctions de huit membres, à savoir M. le vice‑président Bay Larsen (Danemark), M. le juge Bonichot (France), Mme la juge Prechal (Pays‑Bas), M. le juge Xuereb (Malte), Mme la juge Rossi (Italie), M. le juge Wahl (Suède) et MM. les avocats généraux Pikamäe (Estonie) et Collins (Irlande), ainsi que l’entrée en fonctions de neuf nouveaux membres, à savoir M. le juge Smulders (Pays‑Bas), M. l’avocat général Spielmann (Luxembourg), MM. les juges Condinanzi (Italie) et Schalin (Suède), M. l’avocat général Biondi (Italie), MM. les juges Gervasoni (France) et Fenger (Danemark), Mme la juge Frendo (Malte) et M. l’avocat général Norkus (Lituanie).

Quant aux statistiques de l’année écoulée, elles traduisent un nombre très élevé tant d’affaires introduites devant la Cour (920, soit près d’une centaine de plus qu’au cours de chacune des trois dernières années) que d’affaires clôturées par celle‑ci (863 affaires, soit 80 de plus que l’année précédente), ce dernier chiffre s’expliquant en grande partie par les contraintes liées au renouvellement partiel de la Cour. Le nombre d’affaires pendantes était ainsi, au 31 décembre 2024, de 1 206. La durée moyenne des procédures, toutes natures d’affaires confondues, s’est établie en 2024 à 17,7 mois.

920
affaires introduites
573
procédures préjudicielles dont
6
procédures préjudicielles d’urgence (PPU)
Principaux États membres d’origine des demandes
Italie
98
Allemagne
66
Pologne
47
Autriche
39
Bulgarie
38
53
recours directs dont
39
recours en manquement et
3
recours en « double manquement »
277
pourvois introduits contre les décisions du Tribunal
15
demandes d’aide juridictionnelle
1
demande d’avis
Une partie qui n’est pas en mesure de faire face aux frais de l’instance peut demander à bénéficier de l’aide juridictionnelle.
863
affaires réglées
580
procédures préjudicielles dont
5
procédures préjudicielles d’urgence (PPU)
53
recours directs dont
26
manquements constatés contre
16
États membres
1
arrêt en « double manquement »
213
pourvois contre les décisions du Tribunal dont
48
annulant la décision du Tribunal
Durée moyenne des procédures :
17,7 mois
Durée moyenne des procédures
préjudicielles d’urgence :
3,3 mois
1 206
affaires pendantes au 31 décembre 2024
Principales matières traitées
Espace de liberté, de sécurité et de justice
141
Aides d’État et concurrence
137
Politique économique et monétaire
103
Rapprochement des législations
85
Protection des consommateurs
63
Environnement
62
Fiscalité
61
Politique étrangère et de sécurité commune
57
Politique sociale
48
Propriété intellectuelle
45

Les membres de la Cour de justice

La Cour de justice est composée de 27 juges et de 11 avocats généraux.

Les juges et les avocats généraux sont désignés d’un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d’un comité chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats proposés à l’exercice des fonctions en cause. Leur mandat est de six ans, renouvelable.

Ils sont choisis parmi des personnalités offrant toutes les garanties d’indépendance et qui réunissent les conditions requises pour l’exercice, dans leur pays respectif, des plus hautes fonctions juridictionnelles ou qui possèdent des compétences notoires.

Les juges exercent leurs fonctions en toute impartialité et indépendance.

Les juges de la Cour de justice désignent parmi eux le président et le vice‑président. Les juges et les avocats généraux nomment le greffier pour un mandat de six ans.

Les avocats généraux sont chargés de présenter, en toute impartialité et en toute indépendance, un avis juridique dénommé « conclusions » dans les affaires dont ils sont saisis. Cet avis n’est pas contraignant, mais permet d’apporter un regard complémentaire sur l’objet du litige.

Avec le renouvellement partiel de la Cour de justice en octobre 2024 sont entrés en fonctions neuf nouveaux membres, à savoir M. le juge Smulders (Pays-Bas), M. l’avocat général Spielmann (Luxembourg), MM. les juges Condinanzi (Italie) et Schalin (Suède), M. l’avocat général Biondi (Italie), MM. les juges Gervasoni (France) et Fenger (Danemark), Mme la juge Frendo (Malte) et M. l’avocat général Norkus (Lituanie).

In memoriam

Le juge slovène Marko Ilešič est décédé en juin 2024, dans l’exercice de ses fonctions. Il fut le premier membre de cette nationalité nommé juge à la Cour lors de l’adhésion de la Slovénie à l’Union européenne en 2004. Respecté et admiré, tant sur le plan professionnel que personnel, pour ses qualités juridiques et intellectuelles et ses vastes connaissances linguistiques, ainsi que pour sa grande humanité, M. Ilešič a apporté une contribution majeure au développement et à la promotion du droit de l’Union ainsi qu’au rayonnement de la culture slovène.

K. Lenaerts

Président

T. von Danwitz

Vice‑président

F. Biltgen

Président de la Ire chambre

K. Jürimäe

Présidente de la IIe chambre

C. Lycourgos

Président de la IIIe chambre

I. Jarukaitis

Président de la IVe chambre

M. L. Arastey Sahún

Présidente de la Ve chambre

M. Szpunar

Premier avocat général

S. Rodin

Président de la VIIIe chambre

A. Kumin

Président de la VIe chambre

N. Jääskinen

Président de la IXe chambre

D. Gratsias

Président de la Xe chambre

M. Gavalec

Président de la VIIe chambre

J. Kokott

Avocate générale

A. Arabadjiev

Juge

M. Campos Sánchez‑Bordona

Avocat général

E. Regan

Juge

N. J. Cardoso da Silva Piçarra

Juge

J. Richard de la Tour

Avocat général

A. Rantos

Avocat général

I. Ziemele

Juge

J. Passer

Juge

N. Emiliou

Avocat général

Z. Csehi

Juge

O. Spineanu‑Matei

Juge

T. Ćapeta

Avocate générale

L. Medina

Avocate générale

B. Smulders

Juge

D. Spielmann

Avocat général

M. Condinanzi

Juge

F. Schalin

Juge

A. Biondi

Avocat général

S. Gervasoni

Juge

N. Fenger

Juge

R. Frendo

Juge

R. Norkus

Avocat général

A. Calot Escobar

Greffier

Ordre protocolaire à partir du 9/10/2024

B | Le Tribunal en 2024

Le Tribunal peut principalement être saisi, en première instance, des recours directs formés par les personnes physiques ou morales (individus, sociétés, associations, etc.), lorsqu’elles sont individuellement et directement concernées, et par les États membres contre les actes des institutions, organes ou organismes de l’Union européenne, ainsi que des recours directs visant à obtenir la réparation des dommages causés par les institutions ou leurs agents.

Les décisions du Tribunal peuvent faire l’objet d’un pourvoi, limité aux questions de droit, devant la Cour de justice. Dans les affaires ayant déjà bénéficié d’un double examen (par une chambre de recours indépendante, puis par le Tribunal), la Cour de justice admet la demande de pourvoi uniquement s’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.

Depuis le 1er octobre 2024, le Tribunal est également compétent pour connaître des demandes de décision préjudicielle, transférées par la Cour de justice, qui relèvent exclusivement d'une ou de plusieurs des six matières spécifiques suivantes : système commun de taxe sur la valeur ajoutée ; droits d'accise ; code des douanes ; classement tarifaire des marchandises dans la nomenclature combinée ; indemnisation et assistance des passagers en cas de refus d'embarquement ou de retard ou d'annulation de services de transport ; système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre.

Une large partie de son contentieux est de nature économique : propriété intellectuelle (marques, dessins et modèles de l’Union européenne), concurrence, aides d’État et surveillance bancaire et financière. Le Tribunal est également compétent pour statuer en matière de fonction publique sur les litiges entre l’Union européenne et ses agents.

L’activité et l’évolution du Tribunal

Marc van der Woude

Président du Tribunal de l’Union européenne

Pour le Tribunal, l’année 2024 a été une année particulièrement importante, en ce qu’elle a été marquée par l’entrée en vigueur du règlement 2024/2019 qui a reformé l’architecture juridictionnelle de l’Union européenne. Le transfert partiel de la compétence préjudicielle de la Cour de justice au Tribunal est ainsi devenu effectif le 1er octobre 2024.

En vertu du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le Tribunal est désormais compétent pour connaître des demandes de décision préjudicielle qui relèvent exclusivement d’une ou de plusieurs matières spécifiques, parmi les six suivantes : système commun de la TVA, droits d’accise, code des douanes, classement tarifaire des marchandises, indemnisation et assistance des passagers en cas de refus d’embarquement ou de retard ou d’annulation de services de transport et système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre (nouvel article 50 ter). 19 demandes de décision préjudicielle déposées entre le 1er octobre et le 31 décembre 2024 ont fait l’objet d’une décision de transfert.

En interne, le Tribunal a dû réorganiser sa structure en nommant les dix juges siégeant dans la chambre désignée pour traiter les demandes de décision préjudicielle, ainsi que le président de celle‑ci, à savoir M. Papasavvas, vice‑président du Tribunal. Aux fins d’un traitement optimal des demandes de décision préjudicielle, le Tribunal a également désigné trois juges appelés à exercer les fonctions d’avocat général. En outre, son règlement de procédure prévoit désormais la possibilité de statuer, notamment dans certaines affaires préjudicielles, en chambre intermédiaire, composée de neuf juges.

De même, à partir du 1er septembre 2024, une extension du mécanisme d’admission préalable des pourvois contre les décisions du Tribunal portant sur une décision d’une chambre de recours indépendante de l’un des organes ou organismes de l’Union a été prévue (nouvel article 58 bis du statut de la Cour, également inséré par le règlement 2024/2019). Ce volet de la réforme accroît également la responsabilité du Tribunal pour assurer la cohérence et l’uniformité du droit dans les domaines du droit concernés.

La réforme a coïncidé avec le départ, le 7 octobre 2024, de cinq membres du Tribunal, nommés juges à la Cour de justice. Ont ainsi quitté le Tribunal MM. le juge Gervasoni, les présidents de chambre Spielmann et Schalin, Mme la juge Frendo et M. le juge Norkus. Le Tribunal les remercie pour leur longue et importante contribution à sa jurisprudence. À cette même date, MM. les juges Cassagnabère et Meyer ont prêté serment comme nouveaux membres du Tribunal.

Cette réorganisation majeure et les départs des membres n’ont cependant pas ralenti l’activité judiciaire du Tribunal puisque ce dernier a pu, au cours de l’année 2024, clôturer 922 affaires. Seules 786 affaires ayant été introduites pendant cette même année, le nombre d’affaires pendantes a ainsi été réduit. La durée moyenne des procédures de 18,5 mois témoigne d’une gestion efficace des affaires, en précisant que le Tribunal est en mesure de réagir encore plus rapidement lorsque les particularités de l’affaire l’exigent. C’est ainsi qu’il a pu rendre son premier arrêt dans le domaine des marchés numériques dans un délai de 8,2 mois (arrêt T‑1077/23 Bytedance/Commission).

En 2024, 20,2 % des affaires clôturées l’ont été par des formations élargies. En outre, le Tribunal poursuit son approche consistant à juger les affaires présentant une importance certaine pour, notamment, l’État de droit, en grande chambre, composée de 15 juges (voir le chapitre « Retour sur des arrêts marquants de l’année »). Dans cette formation solennelle, le Tribunal a jugé les affaires Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles e. a./Conseil, Medel e. a./Conseil et Fridman e. a./Conseil et Timchenko et Timchenko/Conseil.

Fort de sa nouvelle compétence en matière préjudicielle, ainsi que de nouvelles responsabilités à la suite de l’extension du mécanisme d’admission préalable des pourvois, le Tribunal s’est doté de tous les outils nécessaires pour un traitement efficace et proactif des affaires portées devant lui, tout en se préparant à la prochaine période triennale qui débutera en octobre 2025.

786
affaires introduites
667
recours directs dont :
Propriété intellectuelle et industrielle
268
Fonction publique de l’Union européenne
76
Aides d’État et concurrence
33
7
recours introduits par les États membres
30
demandes d’aide juridictionnelle
19
renvois préjudiciels
Une partie qui n’est pas en mesure de faire face aux frais de l’instance peut demander à bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Innovations jurisprudentielles

Savvas Papasavvas

Vice‑président du Tribunal de l’Union européenne

L’année 2024 marque le retour sur le devant de la scène de la grande chambre, formation la plus solennelle du Tribunal qui n’a, jusqu’à présent, été sollicitée que rarement et de manière épisodique. Composée de quinze juges, la grande chambre est saisie des affaires les plus importantes ainsi que de celles qui présentent une difficulté en droit ou des circonstances particulières (article 28, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal). Six décisions regroupant plusieurs affaires ont ainsi été rendues par cette formation de jugement au cours de l’année écoulée dans le contexte, d’une part, des agressions perpétrées par la Russie contre l’Ukraine et, d’autre part, de la mise en œuvre de la facilité pour la reprise et la résilience, dans le contexte du plan de relance NextGenerationEU.

Tout d’abord, dans ses arrêts du 11 septembre 2024, Fridman e. a./Conseil et Timchenko et Timchenko/Conseil (T‑635/22 et T‑644/22), le Tribunal a confirmé la compétence du Conseil pour adopter des obligations de déclaration des fonds et de coopération avec les autorités nationales compétentes par les personnes visées par des mesures restrictives, d’une part, et pour assimiler le non‑respect de ces obligations à un contournement des mesures de gel de fonds, d’autre part.

Ensuite, dans ses arrêts du 2 octobre 2024, Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles e. a./Conseil, Ordre des avocats à la cour de Paris et Couturier/Conseil et ACE/Conseil (T‑797/22, T‑798/22 et T‑828/22), le Tribunal a confirmé la légalité de l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux personnes morales, entités et organismes établis en Russie (règlement du Conseil [UE] n° 833/2014) concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine. Les affaires traitaient de la question de savoir s’il existe un droit fondamental d’accès à un avocat, tout particulièrement dans des situations ne présentant aucun lien avec une procédure juridictionnelle. Le Tribunal a rejeté le recours, mais s’est notamment attaché à préciser la portée du droit à un recours effectif (article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne), et du droit au secret professionnel (article 7).

Enfin, par une ordonnance du 4 juin 2024, Medel e. a./Conseil (T-530/22 à T-533/22), le Tribunal a rejeté les demandes d’annulation de la décision d’exécution par laquelle le Conseil a approuvé l’évaluation du plan pour la reprise et la résilience de la Pologne et a spécifié les jalons et les cibles devant être atteints par cet État membre afin que la contribution financière mise à sa disposition dans la décision attaquée puisse être libérée. La grande chambre a considéré que les requérantes, quatre associations représentatives de juges au niveau international dont les membres étaient, en règle générale, des associations professionnelles nationales, y compris polonaises, ne pouvaient se prévaloir d’une qualité pour agir.

Ce nouvel élan donné à la grande chambre continuera assurément en 2025, d’autres affaires étant actuellement pendantes devant cette formation de jugement. Il sera probablement accompagné de renvois à la chambre intermédiaire, créée par le règlement (UE, Euratom) 2024/2019 pour compléter l’arsenal de formations solennelles dont dispose le Tribunal.

922
affaires réglées
832
recours directs dont :
Propriété intellectuelle et industrielle
276
Aides d’État et concurrence
98
Fonction publique de l’Union européenne
76
1
renvoi préjudiciel
Durée moyenne des procédures :
18,5 mois
Proportion de décisions ayant fait l’objet d’un pourvoi
devant la Cour de justice :
35 %
1 705
affaires pendantes au 31 décembre 2024
Principales matières traitées
Droit institutionnel
552
Propriété intellectuelle et industrielle
322
Politique économique et monétaire
167
Aides d’État et concurrence
153
Fonction publique de l’Union européenne
112
Mesures restrictives
91
Accès aux documents
41
Agriculture
30
Marchés publics
29
Santé publique
24

Les membres du Tribunal

Le Tribunal est composé de deux juges par État membre.

Les juges sont choisis parmi les personnes offrant toutes les garanties d’indépendance et possédant la capacité requise pour l’exercice de hautes fonctions juridictionnelles. Ils sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des États membres, après consultation d’un comité chargé de donner un avis sur l’adéquation des candidats. Leur mandat est de six ans, renouvelable. Ils désignent parmi eux, pour trois ans, le président et le vice‑président. Ils nomment le greffier pour un mandat de six ans.

Les juges exercent leurs fonctions en toute impartialité et indépendance.

Dans le contexte du transfert partiel, à partir du 1er octobre 2024, de la compétence préjudicielle de la Cour de justice au Tribunal, ce dernier a élu M. Martín y Pérez de Nanclares et Mme Brkan en tant que juges appelés à exercer les fonctions d’avocat général pour le traitement des demandes de décisions préjudicielles, et M. Gâlea en tant que remplaçant en cas d’empêchement.

En octobre 2024 sont entrés en fonctions au Tribunal deux nouveaux membres, MM. les juges Cassagnabère (France) et Meyer (Luxembourg), en remplacement de MM. les juges Gervasoni et Spielmann, tous deux nommés à la Cour de justice.

M. van der Woude

Président

S. Papasavvas

Vice‑président

A. Marcoulli

Présidente de la IIe chambre

R. da Silva Passos

Président de la IVe chambre

J. Svenningsen

Président de la Ve chambre

M. J. Costeira

Présidente de la VIe chambre

K. Kowalik‑Bańczyk

Présidente de la VIIe chambre

A. Kornezov

Président de la VIIIe chambre

L. Truchot

Président de la IXe chambre

O. Porchia

Présidente de la Xe chambre

R. Mastroianni

Président de la Ire chambre

P. Škvařilová‑Pelzl

Présidente de la IIIe chambre

M. Jaeger

Juge

H. Kanninen

Juge

J. Schwarcz

Juge

M. Kancheva

Juge

E. Buttigieg

Juge

V. Tomljenović

Juge

L. Madise

Juge

N. Półtorak

Juge

I. Reine

Juge

P. Nihoul

Juge

U. Öberg

Juge

C. Mac Eochaidh

Juge

G. De Baere

Juge

T. Pynnä

Juge

J. C. Laitenberger

Juge

J. Martín y Pérez de Nanclares

Juge

G. Hesse

Juge

M. Sampol Pucurull

Juge

M. Stancu

Juge

I. Nõmm

Juge

G. Steinfatt

Juge

T. Perišin

Juge

D. Petrlík

Juge

M. Brkan

Juge

P. Zilgalvis

Juge

K. Kecsmár

Juge

I. Gâlea

Juge

I. Dimitrakopoulos

Juge

D. Kukovec

Juge

S. Kingston

Juge

T. Tóth

Juge

B. Ricziová

Juge

E. Tichy‑Fisslberger

Juge

W. Valasidis

Juge

S. Verschuur

Juge

S. L. Kalėda

Juge

L. Spangsberg Grønfeldt

Juge

H. Cassagnabère

Juge

R. Meyer

Juge

V. Di Bucci

Greffier

Ordre protocolaire à partir du 09/10/2024

C | La jurisprudence en 2024

Focus

Paquet mobilité 2020 : concurrence loyale et amélioration des conditions de travail pour un secteur routier plus sûr, durable et équitable

Arrêt Lituanie e.a./Parlement et Conseil du 4 octobre 2024 (C‑541/20 à C‑555/20)

Paquet Mobilité 2020

En 2020, un ensemble de réformes a été adopté par l’Union européenne dans le secteur du transport routier visant deux objectifs principaux :

1. Améliorer les conditions de travail des conducteurs :

  • – en interdisant le repos hebdomadaire à bord des véhicules ;

    – en garantissant des retours réguliers au domicile ou au centre opérationnel toutes les trois ou quatre semaines pour y passer leur temps de repos ;

    – en avançant la date d’entrée en vigueur de l’obligation d’installer des tachygraphes intelligents de deuxième génération.

2. Établir une concurrence loyale :

  • – en imposant le retour des véhicules dans un centre opérationnel situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport toutes les huit semaines ;

    – en introduisant une période de carence de quatre jours après un cycle de cabotage dans un État membre d’accueil (durant laquelle les transporteurs non‑résidents ne sont pas autorisés à effectuer des transports de cabotage avec le même véhicule dans cet État membre) ;

    – en qualifiant les conducteurs de « travailleurs détachés » dans certains cas spécifiques de sorte qu’ils bénéficient des conditions de travail et de rémunération en vigueur dans l’État membre d’accueil.

Le cabotage est le transport réalisé à l’intérieur d’un État membre par un transporteur non établi dans celui‑ci. Il est admis aussi longtemps qu’il n’est pas effectué de manière à créer une activité permanente dans cet État membre.

Le tachygraphe intelligent de deuxième génération est un dispositif électronique, qui enregistre les temps de conduite, les pauses et les périodes de repos des conducteurs. Il contribue à garantir la sécurité routière, le respect des conditions de travail des chauffeurs et la prévention des fraudes.

Le Paquet mobilité est composé de trois actes législatifs qui concernent le régime juridique du transport routier. Cette réforme ambitieuse a créé de vifs débats menant à une série d’actions en justice. Ainsi, sept États membres – la Lituanie, la Bulgarie, la Roumanie, Chypre, la Hongrie, Malte et la Pologne – ont introduit devant la Cour de justice quinze recours en annulation contre certaines dispositions du Paquet mobilité.

L’arrêt de la Cour en a largement confirmé la validité.

Tout en reconnaissant que l’amélioration des conditions de travail des conducteurs peut se traduire par une augmentation des coûts à la charge des entreprises de transport, la Cour a souligné que ces règles, indistinctement applicables dans toute l’Union, ne discriminent pas les entreprises de transport établies dans des États membres situés « à la périphérie de l’Union ». L’éventuelle incidence plus importante de ces règles sur certaines entreprises dépend de leur choix économique de fournir leurs services à des destinataires situés dans des États membres éloignés de leur propre lieu d’établissement.

Quant à la qualification de « travailleurs détachés » (qui permet aux conducteurs de bénéficier des conditions de travail et de rémunération minimales de l’État membre d’accueil, plutôt que celles, éventuellement moins favorables, de l’État d’établissement du transporteur), il s’agit d’une mesure destinée à garantir des conditions de travail équitables et à lutter contre les pratiques de concurrence déloyale. Cette évolution, bien que bénéfique pour les salariés, a suscité des débats parmi les États membres dont certains, notamment ceux à faibles coûts salariaux, ont redouté une hausse des coûts pour leurs entreprises et la complexité administrative des nouvelles règles. La Cour a confirmé cette mesure prise par le législateur de l’Union dans l’objectif de parvenir à un juste équilibre entre les divers intérêts en cause.

Quant à l’obligation d’observer une période de carence de quatre jours après un cycle de cabotage dans un État membre d’accueil, la Cour a souligné qu’elle vise à protéger les entreprises locales et à prévenir une concurrence déloyale, en évitant que les transports de cabotage répétés aboutissent de fait à une activité permanente dans l’État membre d’accueil. Certains États membres ont contesté cette obligation, car elle limiterait la flexibilité des entreprises en les contraignant à ajuster leurs itinéraires afin d’éviter des périodes d’inactivité entraînant des pertes de revenus. La Cour a écarté ces arguments en soulignant que la mesure se limite à interdire pendant cette période les transports de cabotage dans le même État membre d’accueil, ce qui n’empêche pas la réalisation d’autres opérations de transport international ou de cabotage dans d’autres États membres.

Toutefois, la Cour a annulé l’obligation, pour les véhicules, de retourner au centre opérationnel de l’entreprise de transport toutes les huit semaines. Elle a jugé que le Parlement et le Conseil n’avaient pas démontré qu’ils disposaient d’éléments suffisants pour apprécier la proportionnalité de cette mesure et ses répercussions sociales, environnementales et économiques.

Focus

Arrêt Herbaria Kräuterparadies II (C‑240/23)

La société allemande Herbaria produit la boisson « Blutquick », qui est commercialisée en tant que complément alimentaire. Cette boisson contient des ingrédients issus de la production biologique, mais aussi des vitamines non végétales et du gluconate de fer ajoutés. Son emballage affiche le logo de production biologique de l’Union et une référence à « l’agriculture biologique contrôlée ».

En janvier 2012, les autorités allemandes avaient interdit à Herbaria de faire référence à la production biologique protégée, car le droit de l’Union ne permet d’ajouter des vitamines et des minéraux aux produits transformés portant le terme « biologique » que si leur emploi est exigé par la loi.

La Cour de justice, saisie à titre préjudiciel dans le cadre d’une première affaire (affaire C‑137/13), avait jugé que l’emploi de ces substances n’est considéré comme exigé par la loi que si une règle de l’Union ou une règle nationale conforme exige directement leur adjonction dans un aliment pour qu’il puisse être commercialisé. Le cas des vitamines et du gluconate de fer ajoutés au « Blutquick » ne répondant pas à cette exigence, le recours d’Herbaria a été rejeté par la juridiction allemande qui s’était adressée à la Cour.

L’affaire a ensuite été portée devant la Cour administrative fédérale allemande, devant laquelle Herbaria n’a plus contesté l’interdiction d’afficher le logo de production biologique de l’Union européenne, mais a invoqué une inégalité de traitement entre son produit et un produit similaire importé des États‑Unis.

En effet, les États‑Unis sont reconnus par le droit européen comme pays tiers dont les règles de production et de contrôle sont équivalentes à celles de l’Union européenne. Selon Herbaria, cela permettrait de commercialiser dans l’Union des produits en provenance des États‑nis conformes à leurs règles de production comme produits biologiques. Cette situation entraînerait une inégalité de traitement, car les produits concurrents américains pourraient afficher le logo de production biologique de l’Union sans respecter les règles de production biologique applicables dans celle‑ci.

La Cour administrative fédérale allemande a interrogé la Cour à ce sujet.

Dans son arrêt, la Cour a considéré que seuls les produits conformes à l’ensemble des prescriptions du règlement relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques peuvent utiliser le logo biologique de l’Union. Ce logo ne peut donc pas être utilisé pour des produits fabriqués dans un pays tiers selon des règles seulement équivalentes à celles prévues par le droit de l’Union. Cette interdiction s’étend également à l’utilisation des termes qui font référence à cette production.

La Cour souligne que permettre l’utilisation de ce logo et de ces termes aussi bien pour des produits – fabriqués soit dans l’Union soit dans des pays tiers – conformes aux normes européennes de production biologique que pour des produits fabriqués dans des pays tiers selon des normes seulement équivalentes à celles‑ci nuirait à la concurrence loyale au sein du marché intérieur. Cela pourrait en outre induire les consommateurs en erreur, alors que la raison d’être du logo est d’informer les consommateurs, de manière claire et sans ambiguïtés, du fait que le produit est pleinement conforme aux prescriptions établies par le règlement.

La Cour juge en revanche que le logo de production biologique du pays tiers peut être utilisé pour des produits fabriqués dans ce pays, même lorsqu’il contient des termes faisant référence à la production biologique.

Le logo biologique de l’Union européenne

Le logo biologique de l’Union européenne donne une identité visuelle cohérente aux produits biologiques issus de l’Union. Il permet aux consommateurs d’identifier plus facilement les produits biologiques et aide les agriculteurs à les commercialiser dans tous les États membres.

Le logo biologique est réservé aux produits certifiés biologiques par un organisme agréé, garantissant le respect de normes strictes de production, traitement, transport et stockage. Un produit ne peut porter le logo biologique que s’il contient au moins 95 % d’ingrédients biologiques et uniquement si les 5 % restants respectent des conditions strictes. Le même ingrédient ne peut pas être présent sous une forme biologique et non biologique.

Le règlement 2018/848

Le règlement 2018/848, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, vise à garantir une concurrence loyale, le bon fonctionnement du marché intérieur dans ce secteur et la confiance des consommateurs dans les produits étiquetés en tant que produits biologiques.

Il établit des règles de production générales et détaillées. En matière d’étiquetage, il impose le respect des règles sur l’information des consommateurs, notamment pour éviter toute confusion ou tromperie. Il établit aussi des dispositions spécifiques concernant l’étiquetage des produits biologiques et en conversion, afin de protéger tant les intérêts des opérateurs – désireux de voir leurs produits correctement identifiés et de profiter d’une concurrence loyale – que ceux des consommateurs.

D’autres arrêts de la Cour de justice concernant les produits biologiques

Arrêt du 12 octobre 2017, Kamin und Grill Shop (C-289/16)

Selon le règlement 834/2007, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, un opérateur commercialisant des produits biologiques est tenu de soumettre son entreprise à un système de contrôle. Les opérateurs qui revendent des produits directement au consommateur ou à l’utilisateur final peuvent être exonérés de cette obligation, sous certaines conditions. La Cour de justice a jugé qu’il est nécessaire que la vente soit effectuée en présence à la fois de l’opérateur ou de son personnel chargé de la vente et du consommateur final. Par conséquent, les opérateurs commercialisant ces produits en ligne ne peuvent pas bénéficier de cette exonération.

Arrêt du 26 février 2019, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (C‑497/17)

Le règlement 834/2007 n’autorise pas l’apposition du logo biologique de l’Union sur des produits issus d’animaux ayant fait l’objet d’un abattage rituel sans étourdissement préalable, réalisé dans les conditions fixées par le règlement 1099/2009, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.

Arrêt du 29 avril 2021, Natumi (C‑815/19)

Le règlement N° 889/2008, portant modalités d’application du règlement 834/2007, s’oppose à l’utilisation d’une poudre obtenue à partir de sédiments de l’algue Lithothamnium calcareum qui sont nettoyés, séchés et broyés, en tant qu’ingrédient non biologique d’origine agricole dans la transformation de denrées alimentaires biologiques (notamment des boissons biologiques à base de riz et de soja) afin de les enrichir en calcium.

Focus

Accès du public aux contrats d’achat de vaccins contre la COVID‑19

Arrêts Auken e.a./Commission (T‑689/21) et Courtois e.a./Commission (T‑761/21)

En juin 2020, l’Union européenne a lancé sa stratégie en matière d’acquisition de vaccins contre la COVID‑19. Dans ce cadre, la Commission a signé un accord avec les 27 États membres, l’autorisant à conclure en leur nom des contrats d’achat anticipé avec des fabricants.

Le recours précoce à la vaccination étant dans l’intérêt de la santé publique, le délai de mise au point des vaccins par les entreprises pharmaceutiques a été raccourci. Afin de compenser les risques encourus par ces entreprises, la Commission et les États membres ont intégré dans leur stratégie vaccinale le principe du partage des risques entre fabricant et États membres, réduisant ainsi la responsabilité du fabricant en cas d’effets indésirables de son produit.

Les versions des contrats rendues publiques étaient expurgées, omettant des informations sur les risques financiers, les donations ou reventes, ainsi que les déclarations d’absence de conflit d’intérêts.

En 2021, des citoyens et des députés européens ont contesté le refus partiel de la Commission européenne de fournir un accès complet à certains documents liés aux contrats d’achat de vaccins de 2020. Les demandes d’accès portaient sur des clauses d’indemnisation pour les entreprises pharmaceutiques. Selon ces clauses, les laboratoires devaient indemniser les victimes en cas de défaillance liée à une faute intentionnelle ou un manquement grave au cours de la fabrication, tandis que, dans les autres cas, cette responsabilité revenait aux États membres.

Les citoyens et députés réclamaient également un accès aux déclarations d’absence de conflit d’intérêts des membres de l’équipe de négociation pour l’achat des vaccins. Ils souhaitaient faire la lumière sur la manière dont avaient été menées les négociations, notamment sur un gigacontrat de mai 2021, pour l’achat de 1,8 milliard de doses de vaccin supplémentaires pour un montant de 35 milliards d’euros.

La Commission n’avait accordé qu’un accès partiel à ces documents et en avait publié des versions expurgées, invoquant la confidentialité des affaires et la protection de la vie privée.

Saisi de deux recours contre les décisions de la Commission, le Tribunal les a partiellement annulées.

Concernant la demande d’accès plus large aux clauses d’indemnisation, le Tribunal a rappelé que la raison de leur intégration aux contrats – à savoir compenser les risques encourus par les entreprises pharmaceutiques liés au raccourcissement du délai de mise au point des vaccins – avait été endossée par les États membres et relevait du domaine public. Il a jugé que la Commission n’avait pas démontré en quoi un accès plus large à ces clauses, à certaines définitions présentes dans les contrats (telles que celles de « faute intentionnelle » et de « tous les efforts raisonnables possibles ») ainsi qu’aux stipulations relatives aux donations et aux reventes des vaccins, nuirait concrètement aux intérêts commerciaux des entreprises pharmaceutiques en cause.

Concernant la demande relative à la divulgation – dans les déclarations d’absence de conflit d’intérêts – de l’identité des membres de l’équipe de négociation, le Tribunal a confirmé qu’elle poursuivait un but d’intérêt public. Seule la divulgation de cette identité permet, en effet, de vérifier l’absence de situation de conflit d’intérêts concernant les membres de l’équipe de négociation. Or, cette transparence du processus de négociation des contrats renforce la confiance des citoyens de l’Union dans la stratégie vaccinale de la Commission et aide à lutter contre la diffusion de fausses informations. Le Tribunal a donc jugé que la Commission n’avait pas correctement mis en balance les intérêts en présence, liés à l’absence de conflit d’intérêts et au risque d’atteinte à la vie privée.

L’accès du public aux documents : un élément clé de la transparence

Le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil vise à accorder au public un droit d’accès aussi large que possible aux documents du Parlement, du Conseil et de la Commission. Il vise à renforcer la transparence, la légitimité et la responsabilité des institutions.

Ce droit n’est toutefois pas absolu. Il connaît des exceptions en vue de protéger certains intérêts publics ou privés, tels que la sécurité publique, la confidentialité des délibérations internes et des avis juridiques, les intérêts financiers, économiques ou commerciaux, ou encore la protection des données personnelles.

Les institutions doivent concilier la transparence et la protection de ces intérêts, en évaluant dans chaque cas si la divulgation risque de leur porter atteinte. Une divulgation peut finalement être requise si un intérêt public supérieur est démontré.

En cas de refus d’accès, le demandeur peut demander un réexamen auprès de l’institution concernée, puis – en cas de nouveau refus – saisir le Médiateur européen ou introduire un recours devant le Tribunal de l’Union européenne.

Quelques principes consacrés par le Tribunal et la Cour de justice

Dans l’arrêt De Capitani/Parlement (T‑540/15), le Tribunal a considéré que les institutions de l’Union ne peuvent refuser l’accès à certains documents relevant du processus législatif que dans des cas dûment justifiés.

L’institution ou l’organe qui refuse l’accès doit démontrer en quoi celui-ci compromettrait de manière « concrète, effective et raisonnablement prévisible » l’intérêt protégé par l’une des exceptions prévues par le règlement n° 1049/2001. Comme la Cour de justice l’a jugé dans l’arrêt ClientEarth/Commission (C‑57/16 P), une atteinte hypothétique ou vague ne suffit pas à justifier un tel refus.

La question de l’accès aux mémoires déposés par un État membre ou une institution dans le cadre de procédures juridictionnelles devant la Cour de justice de l’Union européenne a été abordée dans plusieurs arrêts notables. Dans l’affaire Commission/Breyer (C‑213/15 P), la Cour de justice a considéré que les mémoires d’un État membre, détenus par la Commission, entrent dans le champ d’application du règlement n° 1049/2001. Si la confidentialité de ces mémoires doit être préservée pendant la durée de la procédure juridictionnelle, la Commission ne peut pas, sans autre motif, refuser d’y donner accès après la clôture de la procédure.

La Cour de justice avait déjà établi cette présomption générale de non‑divulgation pendant la procédure juridictionnelle dans l’arrêt Suède e. a./API et Commission (C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P) pour les mémoires déposés par une institution de l’Union. Néanmoins, une fois la procédure clôturée, chaque demande doit être évaluée au cas par cas pour vérifier si les exceptions du règlement s’appliquent.

Focus

Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine

Arrêts Mazepin / Conseil du 20 mars 2024 (T‑743/22) ; Fridman e.a. / Conseil et Timchenko et Timchenko / Conseil du 11 septembre 2024 (T‑635/22 et T‑644/22) ; NSD / Conseil du 11 septembre 2024 (T‑494/22)

Les mesures restrictives, ou « sanctions », sont un outil clé de la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne. Elles peuvent prendre la forme de gels d’avoirs, d’interdiction de pénétrer sur le territoire de l’Union ou de sanctions économiques. Leur objectif est de défendre les valeurs fondamentales, les intérêts essentiels et la sécurité de l’Union, en exerçant une pression sur les personnes ou entités ciblées, y compris des gouvernements de pays tiers, afin qu’elles changent leur politique ou leur comportement.

Les actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine prises par la Russie dès 2014 et, surtout, sa guerre d’agression lancée contre cet État en 2022, ont intensifié les sanctions de l’Union contre des personnes physiques et morales apportant un soutien au gouvernement russe. Suscitant des contestations sur leur légitimité et leur portée, les décisions du Conseil en la matière ont fait l’objet de dizaines d’affaires portées devant le Tribunal de l’Union européenne.

Elles illustrent la recherche d’une conciliation entre la fermeté des sanctions imposées, nécessaire à leur efficacité, et la protection des droits individuels. Le Tribunal a confirmé les larges pouvoirs de l’Union pour agir contre les soutiens économiques et matériels du gouvernement russe, tout en exigeant des preuves et une justification solide des mesures adoptées.

Arrêt NSD / Conseil (T‑494/22)

Le Tribunal a confirmé les sanctions imposées à la société russe National Settlement Depository (NSD). Considérée par le Conseil comme essentielle au sein du système financier en Russie, cette société apportait un soutien matériel et financier tant au gouvernement qu’à la banque centrale russe.

Le Tribunal a relevé qu’en tant qu’institution financière d’importance systémique, NSD a facilité la mobilisation par le gouvernement russe de ressources considérables, utilisées pour des actions de déstabilisation de l’Ukraine. Il a aussi rejeté les arguments de NSD selon lesquels les mesures restrictives ont entraîné le gel de fonds appartenant à des clients non visés par les sanctions, en soulignant que ces derniers peuvent saisir les juridictions nationales pour contester une violation de leur droit de propriété, en tant qu’effet collatéral des mesures appliquées à l’encontre de NSD.

Arrêt Mazepin / Conseil (T‑743/22)

Le Tribunal de l’Union européenne a annulé le maintien de M. Nikita Mazepin, ancien pilote de Formule 1, sur la liste des personnes visées par les sanctions. Son nom y a été inscrit par le Conseil en raison de l’association avec son père, M. Dmitry Mazepin, un homme d’affaires influent dont l’activité génère des revenus importants au gouvernement russe et qui aurait été le principal sponsor des activités de son fils comme pilote de course au sein de l’écurie Haas.

Le Tribunal a considéré que l’association entre M. Dmitry Mazepin et son fils n’était pas suffisamment établie, relevant notamment que ce dernier n’était plus pilote de course au sein de l’écurie en question au moment de l’adoption de la décision contestée. Par ailleurs, le Tribunal a souligné que la seule relation familiale ne suffit pas, en tant que telle, à prouver des intérêts communs de nature à justifier le maintien des sanctions à l’égard de M. Nikita Mazepin.

Arrêts Fridman e.a. / Conseil et Timchenko et Timchenko / Conseil (T‑635/22 et T‑644/22)

Le Tribunal a confirmé l’obligation pour les personnes et entités sanctionnées de déclarer leurs fonds et de coopérer avec les autorités compétentes afin d’éviter le contournement des gels de fonds par le biais de montages juridiques et financiers. Ces obligations, mises en place par le Conseil, ont été jugées nécessaires pour garantir l’efficacité et l’uniformité des sanctions dans tous les États membres. Le Tribunal a également écarté les contestations selon lesquelles le Conseil aurait exercé des compétences pénales réservées aux États membres, estimant que ces mesures ne sont pas de nature pénale et que leur adoption respecte l’ensemble du cadre prévu par le droit de l’Union.

Sanctions de l’Union européenne à l’encontre de la Russie

Depuis mars 2014, l’Union a progressivement imposé des mesures restrictives ciblées à la Russie en réponse notamment à l’annexion illégale de la Crimée (2014) et à l’agression militaire contre l’Ukraine (2022).

Ces mesures visent à affaiblir la base économique de la Russie, en la privant de technologies et de marchés critiques et en réduisant considérablement sa capacité à faire la guerre. L’Union a également adopté des sanctions à l’encontre de la Biélorussie, de l’Iran et de la Corée du Nord en réponse à leur soutien à la Russie dans la guerre contre l’Ukraine.

Plus de 2 300 personnes et entités (banques, partis politiques, entreprises, groupes paramilitaires) sont visées par les sanctions. Elles comprennent :

  • l’interdiction d’entrer dans l’Union européenne ;
  • le gel des avoirs ;
  • le blocage de fonds.

Le Conseil estime la valeur des avoirs privés gelés dans l’Union à 24,9 milliards d’euros. Les actifs de la Banque centrale de Russie bloqués dans l’Union s’élèvent à 210 milliards d’euros.

Les mesures restrictives, imposées en vertu des décisions du Conseil, font l’objet d’un suivi constant. Elles sont prorogées, ou modifiées le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

Retour sur des arrêts marquants de l’année

Droits fondamentaux


L’Union européenne assure la protection des droits fondamentaux, notamment à travers la charte des droits fondamentaux, qui rassemble les droits individuels, civiques, politiques, économiques et sociaux. Le respect des droits humains constitue l’une des valeurs sur laquelle l’Union est fondée et une obligation essentielle dans le cadre de la mise en œuvre de ses politiques et programmes.


La Charte des droits fondamentaux de l’UE – des règles contraignantes ayant des effets concrets

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  • En 2022, en réponse à l’intensification de l’agression russe contre l’Ukraine, le Conseil de l’Union européenne a adopté des sanctions visant à faire pression sur la Russie. Parmi ces mesures figure l’interdiction de fournir des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux personnes morales, aux entités ou aux organismes établis en Russie. Des avocats belges et français ont demandé au Tribunal de l’Union européenne d’annuler cette interdiction. Selon eux, celle‑ci viole les droits fondamentaux garantissant l’accès aux conseils juridiques d’un avocat. Le Tribunal a rappelé le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, qui inclut le droit d’être conseillé et représenté par un avocat dans un contexte contentieux, actuel ou probable. Toutefois, il a relevé que l’interdiction contestée ne concerne pas les services de conseil juridique liés à une procédure juridictionnelle ni ceux fournis à des personnes physiques. Il a par conséquent rejeté les recours.

    Arrêts Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles e.a./Conseil, Ordre des avocats à la Cour de Paris et Couturier/Conseil et ACE/Conseil du 2 octobre 2024 (T‑797/22, T‑798/22 et T‑828/22)

  • En 2006, le journal Le Monde a publié un article liant le club de football du Real Madrid à des rumeurs de dopage. Condamné en Espagne pour diffamation, il a contesté l’exécution de ce jugement en France, au nom de la liberté de la presse. Saisie à ce sujet par la Cour de cassation française, la Cour de justice a jugé que la reconnaissance mutuelle des jugements peut être limitée si elle viole manifestement des droits fondamentaux. Selon la Cour, des sanctions disproportionnées contre les médias, comme des dommages‑intérêts d’un montant excessif, risquent de dissuader la presse de couvrir des sujets d’intérêt public, ce qui est incompatible avec les valeurs démocratiques de l’Union européenne.

    Arrêt Real Madrid Club de Fútbol du 4 octobre 2024 (C-633/22)

Données à caractère personnel

L’Union européenne est dotée d’une réglementation détaillée concernant la protection des données à caractère personnel. Le traitement et la conservation de ces données doivent correspondre aux conditions de licéité prévues par la réglementation, se limiter au strict nécessaire et ne pas porter atteinte de manière disproportionnée au droit à la vie privée.


La Cour de justice dans le monde numérique

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  • Un citoyen allemand a contesté devant une juridiction allemande le refus de la ville de Wiesbaden de lui délivrer une nouvelle carte d’identité dépourvue de ses empreintes digitales. La juridiction allemande a demandé à la Cour de justice de vérifier la validité du règlement européen prévoyant l’obligation d’insérer deux empreintes digitales dans les cartes d’identité. La Cour a jugé que cette obligation, justifiée par la lutte contre la fabrication de fausses cartes et l’usurpation d’identité, est compatible avec les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel. Toutefois, elle a invalidé le règlement, adopté sur une base juridique erronée, tout en maintenant ses effets jusqu’au 31 décembre 2026 pour permettre l’adoption d’un nouveau texte. Le règlement s’appuyait en effet, à tort, sur l’article 21, paragraphe 2, TFUE (la libre circulation des citoyens), au lieu de l’article 77, paragraphe 3, TFUE (l’espace de liberté, de sécurité et de justice), qui exige l’unanimité au Conseil.

    Arrêt Landeshauptstadt Wiesbaden du 21 mars 2024 (C‑61/22)

  • Une personne a fait l’objet d’une inscription au registre de police de Bulgarie dans le cadre d’une procédure d’instruction pour faux témoignage. Après avoir été condamnée à une peine de probation d’un an et avoir purgé cette peine, elle a demandé à être radiée du registre. Selon le droit bulgare, les données la concernant sont conservées dans ce registre sans aucune limitation de durée autre que le décès de la personne. La Cour administrative suprême bulgare a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de cette réglementation avec le droit de l’Union. Cette dernière a répondu que la conservation générale et indifférenciée, jusqu’à leur décès, des données biométriques et génétiques des personnes condamnées pénalement est contraire au droit de l’Union. La réglementation nationale doit prévoir l’obligation, pour le responsable du traitement, de vérifier régulièrement si cette conservation reste nécessaire et permettre à la personne concernée de demander l’effacement de ses données si ce n’est plus le cas.

    Arrêt Direktor na Glavna direktsia „Natsionalna politsia“ pri MVR - Sofia du 30 janvier 2024 (C‑118/22)

  • Dans deux arrêts distincts, la Cour de justice a apporté des précisions cruciales en matière de pouvoirs d’enquête des autorités.

    Dans une affaire qui concernait un décret français visant à protéger les œuvres couvertes par un droit d’auteur ou un droit voisin contre les infractions commises sur Internet, la Cour a précisé que les États membres peuvent imposer aux fournisseurs d’accès à Internet une obligation de conservation généralisée et indifférenciée des adresses IP afin de permettre à l’autorité publique compétente d’identifier la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale. Cependant, cette conservation ne doit pas permettre de tirer des conclusions précises sur la vie privée de la personne concernée. Pour atteindre un tel résultat, les modalités de conservation doivent garantir une séparation effectivement étanche des différentes catégories de données conservées. Dans des situations atypiques, lorsque les spécificités d’une procédure nationale peuvent, par la mise en relation des données et des informations collectées, permettre de tirer des conclusions précises sur la vie privée de la personne concernée, l’accès doit être soumis à un contrôle préalable par une juridiction ou par une entité administrative indépendante.

    Arrêt La Quadrature du Net II du 30 avril 2024 (C‑470/21)

  • Dans une affaire autrichienne, la police avait tenté de déverrouiller le téléphone portable du destinataire d’un colis contenant du cannabis. Interrogée sur la validité de cette enquête au regard d’une directive pour la protection des données à caractère personnel utilisées par la police et par les autorités judiciaires, la Cour de justice a précisé que l’accès aux données contenues dans un téléphone portable n’est pas nécessairement limité à la lutte contre la criminalité grave. En effet, si tel n’était pas le cas, cela créerait un risque d’impunité pour des infractions pénales en général et donc un risque pour la création d’un espace de liberté, de sécurité et de justice dans l’Union. Un tel accès, qui constitue une ingérence grave dans les droits des personnes concernées à la protection de leurs données à caractère personnel, présuppose, toutefois, une autorisation préalable par une juridiction ou une autorité indépendante et doit être proportionné. Le législateur national doit, de plus, définir les éléments à prendre en compte pour un tel accès, tels que la nature des infractions concernées, et le propriétaire du téléphone doit être informé dès que cela n’est plus susceptible de compromettre l’enquête.

    Arrêt Bezirkshauptmannschaft Landeck du 4 octobre 2024 (C‑548/21)

Égalité de traitement et droit du travail

L’Union européenne compte près de 200 millions de travailleurs. Un grand nombre de citoyens bénéficient donc directement des dispositions du droit du travail européen, qui fixe des normes minimales en matière de conditions de travail et d’emploi et complète ainsi les politiques menées par les États membres.


La Cour de Justice: garantir l’égalité de traitement et protéger les droits des minorités

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  • Après avoir démissionné pour prendre une retraite anticipée, un employé public de la Commune de Copertino (Italie) a demandé le versement d’une indemnité financière pour ses jours de congé non pris. La législation italienne exclut cependant ce droit pour les travailleurs du secteur public. La Cour de justice, interrogée sur l’interprétation de la directive sur le temps de travail, a confirmé qu’un travailleur a droit à une indemnité financière s’il n’a pas pris tous ses congés avant la fin de son contrat, même en cas de démission volontaire. Des considérations économiques, telles que la gestion des dépenses publiques, ne peuvent pas justifier la privation de ce droit. Une exception est toutefois envisageable si le travailleur s’est abstenu délibérément de prendre ses jours de congé et si l’employeur l’a suffisamment informé du risque de perdre ses congés et l’a incité à les prendre.

    Arrêt Comune di Copertino du 18 janvier 2024 (C‑218/22)

  • Considérant que certaines règles de la FIFA avaient entravé son recrutement par un club belge, un ancien footballeur professionnel en France les a contestées devant les juridictions belges. Ces règles, issues du règlement de la FIFA sur le statut et le transfert des joueurs, imposent des indemnités au joueur et à son nouveau club si le joueur rompt son contrat sans « juste cause » avant son terme. Elles peuvent également entraîner des sanctions sportives, comme une interdiction pour le club d’accueil de recruter de nouveaux joueurs, et empêchent la délivrance d’un certificat de transfert international tant qu’il existe un litige concernant la rupture du contrat. Saisie par la cour d’appel de Mons, la Cour de justice a jugé que ces règles ne respectent pas la liberté de circulation des travailleurs et le droit de la concurrence de l’Union européenne.

    Arrêt FIFA du 4 octobre 2024 (C‑650/22)

Citoyenneté européenne

Toute personne ayant la nationalité d’un État membre est automatiquement un citoyen de l’Union européenne. La citoyenneté de l’Union s’ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. Les citoyens de l’Union bénéficient de droits spécifiques garantis par les traités européens.

  • La Commission européenne a saisi la Cour de justice de recours contre la République tchèque et la Pologne au motif que ces États membres limitent le droit d’adhésion à un parti politique à leurs seuls citoyens. Selon la Commission, une telle situation place les citoyens de l’Union résidant dans ces deux États, sans en être ressortissants, dans une situation moins avantageuse en matière d’éligibilité aux élections municipales et européennes. La Cour a donné raison à la Commission et a conclu que la République tchèque et la Pologne ont violé leurs obligations découlant des traités. En effet, les citoyens résidant dans un État membre sans en avoir la nationalité doivent avoir un accès égal aux mêmes moyens, parmi lesquels l’appartenance à un parti politique, que les ressortissants de cet État pour exercer utilement leurs droits électoraux. La Cour a considéré que cette différence de traitement ne peut pas être justifiée par des raisons tenant au respect de l’identité nationale de la Pologne ou de la République tchèque.

    Arrêts Commission/République tchèque (C‑808/21) et Commission/Pologne du 19 novembre 2024 (C‑814/21)

  • La Cour de justice a jugé qu’un État membre ne peut pas refuser de reconnaître le changement de prénom et d’identité de genre légalement acquis dans un autre État membre. Ce refus constitue une entrave à la libre circulation et au droit de séjour au sein de l’Union. L’identité personnelle, incluant le prénom et le genre, étant fondamentale, un tel refus cause des difficultés administratives et privées contraires au droit de l’Union.

    Arrêt Mirin du 4 octobre 2024 (C‑4/23)

Consommateurs

La politique européenne des consommateurs vise à protéger la santé, la sécurité ainsi que les intérêts économiques et juridiques des consommateurs, quel que soit le lieu où ils résident, se déplacent ou effectuent leurs achats à l’intérieur de l’Union.


La Cour de justice : garantir les droits des consommateurs de l’Union européenne

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  • Aldi Süd sur des réductions de prix. Selon l’association, Aldi Süd n’est pas en droit de calculer une réduction de prix sur la base du prix immédiatement antérieur à l’offre mais, conformément au droit de l’Union européenne, il doit le faire sur la base du prix le plus bas pratiqué au cours des 30 derniers jours. Interrogée par une juridiction allemande, la Cour de justice a confirmé qu’une réduction de prix annoncée dans une publicité doit être calculée sur la base du prix le plus bas des 30 derniers jours. Les professionnels sont ainsi empêchés d’induire en erreur le consommateur, en augmentant le prix pratiqué avant d’annoncer une réduction de prix et en affichant par conséquent de fausses réductions de prix.

    Arrêt Aldi Süd du 26 septembre 2024 (C‑330/23)

Environnement

L’Union européenne s’engage pour préserver et améliorer la qualité de l’environnement et pour protéger la santé humaine. Son approche repose sur les principes de précaution et de prévention ainsi que sur le principe du « pollueur‑payeur ».


La Cour de justice et l’environnement

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  • Une directive européenne interdit depuis 2019 la mise sur le marché de produits fabriqués à base de plastique oxodégradable, qui se fragmente sous l’effet de l’oxydation. Des sociétés britanniques produisant un additif pro-oxydant qui, selon elles, permet au plastique de se biodégrader plus rapidement que le plastique oxodégradable, ont saisi le Tribunal de l’Union européenne. Elles ont demandé réparation du préjudice subi en raison du fait que l’interdiction de mise sur le marché de plastique oxodégradable s’applique également au plastique qu’elles qualifient d’« oxobiodégradable ». Le Tribunal a rejeté le recours en considérant que le législateur européen n’a pas commis d’erreur manifeste. En effet, selon les études scientifiques, le niveau de biodégradation du plastique contenant un additif pro‑oxydant est faible, voire inexistant. De plus, ce type de plastique ne se prête à aucune forme de compostage. Enfin, son recyclage s’avère problématique, car les technologies actuelles ne permettent pas d’identifier le plastique contenant un additif pro‑oxydant et de l’isoler du plastique conventionnel.

    Arrêt Symphony Environmental Technologies et Symphony Environmental/Parlement e.a. du 31 janvier 2024 (T‑745/20)

  • Le loup, espèce strictement protégée par la convention de Berne, a fait l’objet de deux arrêts de la Cour de justice, dans lesquels celle‑ci s’est penchée sur la directive « habitats ». En Autriche, des organisations écologistes ont contesté devant un tribunal du Tyrol l’autorisation temporaire d’abattre un loup ayant tué environ 20 moutons. La Cour a confirmé la validité de l’interdiction de la chasse au loup dans cet État membre, car la population de l’espèce ne s’y trouve pas dans un état de conservation favorable. Par ailleurs, en Espagne, une association pour la protection du loup ibérique a attaqué une loi de la Communauté autonome de Castille‑et‑León qui désigne le loup comme une espèce pouvant être chassée au nord du fleuve Duero (où il peut faire l’objet de mesures de gestion, alors qu’il bénéficie d’une protection stricte au sud de ce fleuve). En réponse aux questions d’un tribunal espagnol, la Cour a refusé que le loup puisse être désigné comme espèce pouvant être chassée au niveau régional lorsque son état de conservation au niveau national est défavorable.

    Arrêts WWF Österreich e.a., du 11 juillet 2024 (C-601/22) et ASCEL, du 29 juillet 2024 (C‑436/22)

  • L’aciérie Ilva, qui se trouve à Tarente, dans les Pouilles (sud de l’Italie), est l’une des plus grandes aciéries d’Europe. Ses incidences néfastes sur l’environnement et la santé des riverains ont été constatées en 2019 par la Cour européenne des droits de l’homme. Des mesures visant à réduire ces incidences ont été prévues depuis 2012, mais leur mise en œuvre a régulièrement été repoussée. De nombreux habitants de la zone entourant l’aciérie ont agi devant la justice italienne. La Cour de justice, saisie par un tribunal de Milan, a considéré que d’importantes exigences pour l’octroi et le maintien de l’autorisation d’exploitation, requises par la directive relative aux émissions industrielles, ne semblent pas avoir été remplies. L’exploitation de l’aciérie devra donc être suspendue s’il s’avère qu’elle présente des dangers graves et importants pour l’environnement et la santé humaine.

    Arrêt Ilva e.a., du 25 juin 2024 (C‑626/22)

Société de l’information

L’Union européenne joue un rôle clé dans le développement de la société de l’information, en vue de créer un environnement favorable à l’innovation et à la compétitivité tout en protégeant les droits des consommateurs et en offrant une sécurité juridique. Elle garantit des marchés numériques équitables et ouverts, et supprime les obstacles aux services en ligne transfrontaliers au sein du marché intérieur pour assurer leur libre circulation.


La Cour de justice dans le monde numérique

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  • Une loi italienne a imposé aux prestataires de services en ligne établis en dehors de l’Italie, tels qu’Airbnb, Expedia, Google et Amazon, des obligations administratives dans le but déclaré de garantir l’application effective du droit de l’Union. Ces prestataires doivent, notamment, s’inscrire dans un registre spécial, fournir des rapports économiques et payer des contributions financières. Saisie par une juridiction italienne, la Cour de justice a jugé ces mesures incompatibles avec le droit de l’Union. Elle a rappelé que les prestataires de services en ligne sont principalement soumis à la législation de l’État membre de leur établissement, en l’occurrence l’Irlande ou le Luxembourg. Les États membres, tels que l’Italie, où ils exercent leurs activités sont liés par le principe de reconnaissance mutuelle et, en règle générale, ne peuvent instaurer des obligations supplémentaires susceptibles de limiter la libre prestation de ces services.

    Arrêts Airbnb Ireland et Amazon Services Europe (affaires jointes C‑662/22 et C‑667/22), Expedia (C‑663/22), Google Ireland et Eg Vacation Rentals Ireland (affaires jointes C‑664/22 et C‑666/22), Amazon Services Europe (C‑665/22) du 30 mai 2024

  • Bytedance Ltd est une société qui, par l’intermédiaire de ses filiales, fournit la plateforme de réseau social en ligne TikTok. La Commission a désigné Bytedance comme contrôleur d’accès d’un service de plateforme essentiel, en application du règlement européen sur les marchés numériques (Digital Market Act), ce qui lui impose de respecter un ensemble ciblé d’obligations légales visant à permettre à d’autres entreprises de faire concurrence au contrôleur d’accès et à empêcher certaines pratiques déloyales. Saisi du recours de Bytedance contre cette décision, le Tribunal de l’Union européenne a rappelé que le législateur de l’Union avait adopté le règlement européen sur les marchés numériques pour améliorer le fonctionnement du marché intérieur. Constatant que les critères prévus dans ce règlement, notamment la valeur marchande mondiale et le nombre d’utilisateurs, sont remplis en l’espèce, le Tribunal a conclu que la Commission pouvait considérer à juste titre que Bytedance est un contrôleur d’accès et a donc rejeté le recours.

    Arrêt Bytedance/Commission du 17 juillet 2024 (T‑1077/23)

Concurrence, aides d’État et tax rulings

L’Union européenne assure le respect de règles qui protègent la libre concurrence. Les pratiques qui ont pour objet ou effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur sont interdites et peuvent être sanctionnées par des amendes. Les aides d’État sont par ailleurs interdites lorsqu’elles sont incompatibles avec le marché intérieur, la Commission étant investie à ce sujet d’une importante mission de contrôle par les traités.


Le Tribunal de l’UE – Veiller au respect du droit de l’Union par les institutions

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  • Le projet de liaison fixe du détroit de Fehmarn prévoit un tunnel sous la mer Baltique entre Rødby, sur l’île danoise de Lolland, et Puttgarden, en Allemagne. L’entité publique danoise Femern A/S est chargée de son financement, de sa construction et de son exploitation. La Commission a décidé que les mesures financières accordées à Femern A/S par le Danemark constituent une aide d’État, toutefois compatible avec le marché intérieur. Le Danemark et deux exploitants de ferries, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland, ont demandé l’annulation de cette décision devant le Tribunal de l’Union européenne. Ce dernier a rejeté les recours, estimant que l’avantage sélectif accordé à Femern A/S renforce sa position sur le marché des services de transport par rapport aux autres entreprises du marché et affecte les échanges entre les États membres. Toutefois, le projet de liaison fixe est d’intérêt européen commun, apportant une contribution importante aux objectifs de la politique des transports de l’Union.

    Arrêts Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission ; Danemark/Commission et Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission du 28 février 2024 (T‑7/19, T‑364/20 et T‑390‑20)

  • Qualcomm, une entreprise américaine fabriquant des puces pour téléphones et tablettes a été accusée par Icera de pratiquer des prix prédateurs. Nvidia, après avoir acheté Icera, a apporté de nouvelles informations sur ces accusations. En 2019, la Commission européenne a infligé une amende de 242 millions d’euros à Qualcomm pour abus de position dominante, l’accusant de vendre des puces à perte à Huawei et ZTE pour éliminer Icera, sa concurrente. Le Tribunal de l’Union européenne a rejeté la plupart des arguments de Qualcomm, sauf sur le calcul de l’amende. Le Tribunal a jugé que la Commission s’était écartée, sans justification, de ses lignes directrices de 2006 et a réduit l’amende à 238,7 millions d’euros.

    Arrêt Qualcomm/Commission du 18 septembre 2024 (T‑671/19)

  • En 2017, la Commission européenne avait infligé une amende d’environ 2,4 milliards d’euros à Google pour avoir abusé de sa position dominante sur plusieurs marchés nationaux de la recherche sur Internet. La Commission a constaté que, dans 13 pays de l’Espace Économique Européen (EEE), Google favorisait son propre comparateur de produits dans ses résultats de recherche, par rapport à des comparateurs de produits de concurrents. En effet, les résultats de Google étaient placés en tête, mis en valeur dans des « boxes » attrayants, tandis que ceux des concurrents étaient relégués dans de simples liens génériques, souvent rétrogradés par les algorithmes. Le Tribunal de l’Union européenne a confirmé, en substance, cette décision, et la Cour de justice a rejeté le pourvoi de Google et Alphabet, validant l'amende.

    Arrêt Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) du 10 septembre 2024 (C‑48/22 P)

  • Google a lancé sa plateforme publicitaire AdSense en 2003. Cette plateforme permet aux exploitants de sites internet de percevoir des revenus en affichant des publicités liées aux recherches des utilisateurs. Pour utiliser ce service, certains éditeurs de sites ont dû signer des contrats avec Google, contenant des clauses empêchant ou limitant l’affichage de publicités concurrentes. En 2019, après des plaintes de plusieurs entreprises, dont Microsoft et Expedia, la Commission européenne a infligé à Google une amende de 1,49 milliard d’euros pour abus de position dominante. Saisi d’un recours contre cette décision, le Tribunal de l’Union européenne a jugé que la Commission avait commis des erreurs dans son appréciation de la durée des clauses et de la partie du marché qu’elles couvrent et qu’elle n’avait ainsi pas correctement établi l’existence d’un abus de position dominante. Le Tribunal a donc annulé la décision dans son ensemble.

    Arrêt Google AdSense/Commission du 18 septembre 2024 (T‑334/19)

  • En 2021, la Commission a constaté que les banques Deutsche Bank, Bank of America, Crédit Agricole et Credit Suisse (désormais UBS Group) avaient participé à un cartel dans le secteur des obligations suprasouveraines, des obligations souveraines et des obligations d’organismes publics libellées en dollars US (« SSA Bonds »), en échangeant des informations sensibles et en coordonnant leurs stratégies de négociation. La Commission a infligé des amendes à la Bank of America (12,6 millions d’euros), au Credit Suisse (11,9 millions d’euros) et au Crédit Agricole (3,9 millions d’euros), tandis que la Deutsche Bank a été exemptée d’amende pour sa coopération. Statuant sur le recours du Crédit Agricole et du Credit Suisse, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé le constat d’infraction de la Commission et maintenu le montant des amendes infligées en 2021.

    Arrêt Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank/Commission et UBS Group et Credit Suisse Securities (Europe)/Commission du 6 novembre 2024 (T‑386/21 et T‑406/21)

  • En 2018, Vodafone, une société britannique de télécommunications, a annoncé à la Commission européenne son intention d’acquérir les activités de télécommunications de Liberty Global en Allemagne, en République tchèque, en Hongrie et en Roumanie. La Commission européenne a donné son accord en 2019, sous conditions. Craignant la position dominante de Vodafone sur certains marchés, trois entreprises allemandes ont saisi le Tribunal de l’Union européenne pour faire annuler la décision de la Commission. Le Tribunal a rejeté ces recours, estimant que la Commission avait valablement considéré que les parties à la concentration ne sont pas des concurrents sur les marchés concernés, à savoir la fourniture au détail de services de transmission de signaux de télévision en Allemagne.

    Arrêts NetCologne/Commission, Deutsche Telekom/Commission et Tele Columbus/Commission du 13 novembre 2024 (T‑58/20, T‑64/20 et T‑69/20)

  • Les impositions directes relèvent en principe de la compétence des États membres. Néanmoins, elles doivent respecter les règles de base de l’Union européenne, telles que l’interdiction des aides d’État. Ainsi, l’Union veille à la légalité des décisions fiscales anticipatives (tax rulings) des États membres qui accordent à des entreprises un traitement fiscal particulier. En 2016, la Commission européenne a estimé que certaines entreprises du groupe Apple avaient bénéficié, entre 1991 et 2014, d’avantages fiscaux constitutifs d’une aide d’État accordée par l’Irlande. Cette aide portait sur le traitement fiscal des bénéfices générés par les activités d’Apple hors des États‑Unis. En 2020, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la Commission, jugeant que cette dernière n’avait pas suffisamment prouvé l’existence d’un avantage sélectif en faveur de ces entreprises. Saisie d’un pourvoi, la Cour de justice a annulé l’arrêt du Tribunal et a tranché définitivement le litige, en confirmant la décision de la Commission. L’Irlande a accordé à Apple une aide incompatible avec le marché intérieur, en ayant conféré à cette entreprise un traitement fiscal dérogeant aux règles irlandaises relatives à la taxation des bénéfices des sociétés non résidentes. Cet État membre est ainsi tenu de récupérer cette aide.

    Arrêt Commission/Irlande e.a. du 10 septembre 2024 (C‑465/20 P)

Propriété intellectuelle

La réglementation adoptée par l’Union européenne pour protéger la propriété intellectuelle (droits d’auteur) et industrielle (droit des marques, protection des dessins et modèles) améliore la compétitivité des entreprises en favorisant un environnement propice à la créativité et à l’innovation.


La propriété intellectuelle et le Tribunal de l’Union européenne

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  • En septembre 2021, la société Escobar Inc. (Puerto Rico, États‑Unis) a demandé à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) d’enregistrer le signe verbal Pablo Escobar en tant que marque de l’Union. Le Colombien Pablo Escobar, décédé en 1993, est présumé être un baron de la drogue et un narcoterroriste ayant fondé le cartel de Medellín (Colombie). L’EUIPO a refusé d’enregistrer la marque, la considérant comme contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Saisi par la société Escobar d’un recours contre ce refus, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé la décision de l’EUIPO en soulignant que le nom de Pablo Escobar est associé au trafic de drogue et au narcoterrorisme, si bien que la marque serait perçue comme contraire aux normes morales fondamentales ainsi qu’aux valeurs indivisibles et universelles sur lesquelles est fondée l’Union.

    Arrêt Escobar/EUIPO (Pablo Escobar) du 17 avril 2024 (T‑255/23)

  • La marque de l’Union européenne Big Mac a été enregistrée en 1996 au profit de la chaîne américaine McDonald’s. En 2017, considérant que cette marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux pour certains produits et services, la chaîne de restauration rapide irlandaise Supermac’s a demandé à l’EUIPO de déclarer sa déchéance. L’EUIPO a accepté la demande de Supermac’s mais uniquement partiellement. Insatisfaite, Supermac’s a saisi le Tribunal de l’Union européenne. Celui‑ci a limité davantage la protection conférée à McDonald’s par la marque Big Mac. La chaîne américaine a ainsi perdu cette marque pour les aliments à base de volaille et les sandwiches au poulet, pour les services de restauration et le « drive‑in », ainsi que pour la préparation de plats à emporter. Le Tribunal a estimé que McDonald’s n’a pas démontré avoir fait un usage sérieux de la marque Big Mac dans l’Union pendant une période ininterrompue de cinq ans pour ces produits et services.

    Arrêt Supermac’s/EUIPO McDonald’s International Property (BIG MAC) du 5 juin 2024 (T‑58/23)

  • Le 24 février 2022, premier jour de l’invasion russe à grande échelle de l’Ukraine, Roman Gribov, garde‑frontière ukrainien sur l’île des Serpents, dans la mer Noire, a proféré un cri de guerre contre les navires russes : « Русский военный корабль, иди на **й » (« Russian warship, go f**k yourself » en anglais). L’Administration of the State Border Guard Service of Ukraine a demandé à l’EUIPO d’enregistrer en tant que marque de l’Union européenne une marque constituée par ce cri de guerre et sa traduction anglaise. L’EUIPO a rejeté cette demande. Saisi d’un recours de l’Administration ukrainienne, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé ce rejet. Il a estimé que cette phrase, devenue un symbole de la lutte de l’Ukraine contre l’agression russe, ne serait pas perçue comme l’indication d’une origine commerciale.

    Arrêt Administration of the State Border Guard Service of Ukraine/EUIPO (RUSSIAN WARSHIP, GO F**K YOURSELF) du 13 novembre 2024 (T‑82/24)

  • En 2016, la société allemande Puma a obtenu l’enregistrement, auprès de l’EUIPO, d’un dessin ou modèle communautaire de chaussures sportives. La société néerlandaise Handelsmaatschappij J. Van Hilst a demandé à l’EUIPO de déclarer la nullité de ce dessin ou modèle en alléguant que, douze mois avant le dépôt de la demande d’enregistrement, la chanteuse Rihanna, nouvellement nommée directrice artistique de Puma, avait publié sur Instagram des images dans lesquelles elle portait des chaussures montrant un dessin ou modèle aux caractéristiques similaires. L’EUIPO a considéré que le dessin ou modèle avait ainsi été rendu public avant la demande d’enregistrement, ce qui justifiait son annulation. Le Tribunal de l’Union européenne a rejeté le recours de Puma contre la décision de l’EUIPO et a confirmé que les images tirées du compte Instagram en cause suffisent pour démontrer la divulgation du dessin ou modèle antérieur, car elles permettent d’identifier toutes ses caractéristiques essentielles.

    Arrêt Puma/EUIPO - Handelsmaatschappij J. Van Hilst (Chaussures), du 6 mars 2024 (T‑647/22)

Politique commerciale

La politique commerciale commune est une compétence exclusive de l’Union européenne, en vertu de laquelle elle conclut notamment des accords commerciaux internationaux. Le fait que l’Union s’exprime d’une seule voix sur la scène mondiale la place dans une position de force en matière de commerce international. L’action de l’Union en la matière doit néanmoins respecter le cadre constitutionnel de l’Union.

  • En 2019, des accords UE‑Maroc sur la pêche et les produits agricoles ont été étendus au territoire du Sahara occidental sans le consentement explicite de son peuple. Le Front Polisario, reconnu par l’ONU comme un représentant privilégié du peuple sahraoui, a contesté les décisions du Conseil de l’Union européenne approuvant ces accords devant le Tribunal de l’Union européenne, qui les a annulées. Saisie d’un pourvoi contre les arrêts du Tribunal, la Cour de justice a considéré que les accords violaient le droit international, car le peuple sahraoui, titulaire du droit à l’autodétermination, n’avait pas été valablement consulté. Son consentement ne pouvait pas non plus être présumé, car les accords n’apportaient aucun bénéfice concret au peuple sahraoui, sous la forme d’une compensation financière proportionnée tenant compte de l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental et des eaux adjacentes à celui‑ci.

    Arrêts Commission et Conseil/Front Polisario du 4 octobre 2024 (affaires jointes C‑778/21 P et C‑798/21 P ; affaires jointes C‑779/21 P et C‑799/21 P)

  • Un syndicat agricole français a contesté devant l’administration française l’étiquetage des melons et tomates cultivés au Sahara occidental. Ces produits étaient exportés vers l’Union européenne en mentionnant le Maroc comme pays d’origine, ce que la Confédération paysanne a dénoncé comme trompeur et contraire au droit international. Elle a réclamé un étiquetage spécifique indiquant leur véritable origine. La Cour de justice a précisé que le Sahara occidental est un territoire distinct du Maroc au sens du droit de l’Union. Par conséquent, les produits issus de ce territoire doivent mentionner leur origine réelle, c’est‑à‑dire le Sahara occidental, pour garantir une information transparente et éviter de tromper les consommateurs. Cependant, la Cour a également jugé que les États membres, comme la France, ne peuvent pas adopter unilatéralement des interdictions d’importation pour des produits mal étiquetés. Une telle compétence relève exclusivement de l’Union dans le cadre de sa politique commerciale commune.

    Arrêt Confédération paysanne (Melons et tomates du Sahara occidental) du 4 octobre 2024 (C‑399/22)

Migration et asile

L’Union européenne a adopté un ensemble de règles pour mettre en place une politique migratoire européenne efficace, humanitaire et sûre. Le régime d’asile européen commun définit des normes minimales applicables au traitement de tous les demandeurs d’asile et de leurs demandes dans l’ensemble de l’Union.

  • Selon la directive « qualification », les personnes enregistrées auprès de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés en Palestine et dans le Proche‑Orient (UNRWA) sont exclues du statut de réfugié dans l’Union européenne. Cependant, ces personnes doivent, en principe, obtenir le statut de réfugié si l’assistance ou la protection de cet organisme cesse. Dans le cadre d’un litige concernant des apatrides d’origine palestinienne, une juridiction bulgare a saisi la Cour de justice pour clarifier les critères permettant de considérer que cette assistance a cessé. La Cour a souligné que, vu la situation prévalant dans la bande de Gaza, l’incapacité de l’UNRWA à fournir des conditions de vie dignes ou des conditions minimales de sécurité dans la zone concernée constitue une telle cessation.

    Arrêt Zamestnik‑predsedatel na Darzhavna agentsia za bezhantsite (Statut de réfugié - Apatride d’origine palestinienne) du 13 juin 2024 (C-563/22)

  • La Cour de justice a condamné la Hongrie à payer une somme forfaitaire de 200 millions d’euros et une astreinte de 1 million d’euros par jour pour non‑exécution d’un arrêt qu’elle a rendu en matière d’asile en décembre 2020. La Hongrie a manqué à ses obligations concernant l’accès à la procédure de protection internationale, la rétention des demandeurs dans des zones de transit et l’éloignement des ressortissants en séjour irrégulier. En s’abstenant délibérément d’appliquer la politique commune de l’Union, elle a gravement porté atteinte au principe de solidarité entre États membres et à l’unité du droit de l’Union. Ce manquement inédit et exceptionnellement grave transfère aux autres États membres une responsabilité injustifiée dans l’accueil et la gestion des demandeurs d’asile.

    Arrêt Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale II) du 13 juin 2024 (C‑123/22)

Coopération judiciaire

L’espace de liberté, de sécurité et de justice comprend des mesures pour promouvoir la coopération judiciaire entre les États membres. Cette coopération repose sur la reconnaissance mutuelle des jugements et des décisions judiciaires et vise à harmoniser les droits nationaux pour lutter contre la criminalité transnationale en garantissant la protection des droits des victimes, des suspects et des détenus au sein de l’Union.

  • Une juridiction italienne a condamné un homme, auteur de l’homicide de son ex-partenaire, à verser une indemnité aux membres de la famille de la victime. Toutefois, en raison de l’insolvabilité de l’auteur, l’État italien a octroyé une indemnité uniquement aux enfants et au conjoint de la victime. Les parents, la sœur et les enfants de la victime ont alors saisi un tribunal italien pour demander une indemnisation « juste et appropriée ». La Cour de justice, interrogée sur l’interprétation de la directive relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité, a jugé qu’un régime national qui exclut automatiquement certains membres de la famille de toute indemnisation du seul fait de la présence d’autres membres de la famille ne garantit pas une « indemnisation juste et appropriée » pour les victimes indirectes. Un tel régime doit prendre en compte d’autres considérations, telles que les conséquences matérielles résultant, pour ces membres de la famille, du décès de la personne décédée ou le fait qu’ils étaient à la charge de celle‑ci.

    Arrêt Burdene du 7 novembre 2024 (C‑126/23)

  • La police française est parvenue à infiltrer le service de télécommunications cryptées EncroChat, utilisé à travers le monde sur des téléphones portables cryptés pour le trafic illégal de stupéfiants. Via un serveur d’Europol, l’Office fédéral de la police judiciaire allemand pouvait consulter les données ainsi interceptées, qui concernaient les utilisateurs d’EncroChat en Allemagne. Donnant suite à des décisions d’enquête européenne émises par le parquet allemand, un tribunal français a autorisé la transmission de ces données et leur utilisation dans des procédures pénales en Allemagne. Le tribunal régional de Berlin s’est alors interrogé sur la légalité de ces décisions. La Cour de justice a répondu qu’un procureur peut adopter, sous certaines conditions, une décision d’enquête européenne visant à obtenir la transmission de preuves déjà collectées par un autre État membre. Son émission ne requiert pas que les conditions applicables à la collecte de preuves dans l’État d’émission soient respectées. Un contrôle judiciaire ultérieur du respect des droits fondamentaux des personnes concernées doit, toutefois, être possible.

    Arrêt M.N. (EncroChat) du 30 avril 2024 (C‑670/22)

Politique étrangère et de sécurité commune

Instrument essentiel de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’Union européenne, les mesures restrictives ou « sanctions » sont utilisées dans le cadre d’une action intégrée et globale qui inclut notamment un dialogue politique. L’Union y recourt, notamment afin de préserver les valeurs, les intérêts fondamentaux et la sécurité de l’Union, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale. Les sanctions cherchent, en effet, à susciter un changement de politique ou de comportement de la part des personnes ou entités visées, afin de promouvoir les objectifs de la PESC.

  • En 2008, l’Union européenne a lancé la mission civile Eulex Kosovo, pour enquêter sur les crimes et les personnes disparues ou tuées au Kosovo en 1999. L’année suivante, elle a créé une commission spéciale, chargée d’examiner les plaintes pour violations des droits de l’homme commises par Eulex Kosovo dans l’exercice de son mandat. À la suite des plaintes de KS et KD, membres de la famille proche de personnes disparues ou tuées au Kosovo, cette commission a conclu à la violation de plusieurs droits fondamentaux. Par la suite, KS et KD ont saisi le Tribunal de l’Union européenne pour demander la réparation du préjudice prétendument lié aux enquêtes menées durant la mission. Le Tribunal s’est déclaré manifestement incompétent.

    Sur pourvoi, la Cour de justice a clarifié les compétences des juridictions de l’Union dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Elle a jugé qu’elle était compétente pour interpréter ou examiner la légalité des actes ou omissions relevant de la PESC qui ne se rattachent pas directement à des choix politiques ou stratégiques (tels que, par exemple, les actes relatifs au recrutement du personnel de Eulex Kosovo). Elle a souligné qu’une telle interprétation stricte de l’exception à sa compétence juridictionnelle dans le domaine de la PESC est conforme au droit à une protection juridictionnelle effective, se référant à cet égard à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Partant, la Cour a annulé partiellement la décision du Tribunal et a constaté que les juridictions de l’Union sont compétentes pour statuer sur une partie des actes ou comportements visés par les requérants dans leur recours en indemnité.

    Arrêt KS et KD/Conseil e.a. du 10 septembre 2024 (affaires jointes C‑29/22 P et C‑44/22 P)

  • Toujours dans le domaine de la PESC, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé la légalité de l’interdiction, adoptée par le Conseil de l’Union européenne, de fournir des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux personnes morales, entités et organismes établis en Russie (v. sur ce même arrêt également la rubrique « Droits fondamentaux » et le chapitre « Innovations jurisprudentielles »).

    Arrêt Ordre néerlandais des avocats du barreau de Bruxelles e. a./Conseil (T‑797/22, T‑798/22, T‑828/22)

La direction de la Recherche et de la documentation propose aux professionnels du droit, dans le cadre de sa Collection des résumés, une « Sélection des grands arrêts » et un « Bulletin mensuel de jurisprudence » de la Cour de justice et du Tribunal.

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